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Café Littéraire. Espace ou naissent et se croisent toutes formes d'écrits: slams/poésie/contes/nouvelles/romans/théâtre. Tous les jeudis de 18h à 20h au CEBULAC (Burundi Palace, 1er étage), en plein centre de Bujumbura. Entrée libre et gratuite.

mardi 28 décembre 2010

Un jour de plus au paradis

par Tanguy Bitariho

Une délicieuse pluie chantonne sur la toiture en ce sombre lever de soleil. Six heures pile. Mon réveil m’appelle et demande à ce que je m’éveille. Je l’éteins instantanément indigné par l’incroyable manque d’égard de cet horrible appareil. Non mais ! Quel odieux manque d’égard que d’oser troubler la féérie de la quiétude de cette symphonie. Je me tourne sur le ventre dans l’espoir de m’enfoncer dans mon lit, de m’enfoncer dans mes pensées encore plus profondément. Néanmoins malgré le mauvais temps, quelques timides rayons de soleil commencent à poindre. Je sais que je dois me réveiller, mais mon corps s’y refuse. Je tente un ultime effort et en me tenant sur mon séant. Soudainement je comprends et retombe comme une masse sur l’oreiller. Ce que je prenais au départ pour de la paresse était en fait une véritable incapacité physique. Me lever me fit prendre conscience de l’incroyable lourdeur de ma tête. Une effroyable douleur me traverse le crâne. J’ai l’horrible sensation d’avoir comme un ruisseau plein d’acide qui prendrait source au flanc de ma narine droite, pour remonter vers mon œil droit, traversant de bas en haut, passant au travers de l’arcade sourcilière dudit côté et perforant de part en part ma boîte crânienne jusqu’à son extrémité supérieure, arrière, droite. La douleur semble pulser au rythme d’un battement cardiaque. La chambre entame à son tour une furieuse spirale destructrice. Je comprends à l’instant que je n’irais pas à l’école ce matin et je m’attends déjà à une remontrance maternelle.

Toc-toc-toc.

Tiens quand on parle du loup… .
Passé un certain temps maman fini par se demander pour quelle mauvaise raison je ne me serais toujours pas réveillé.
-Pascal est-ce que ça va ? Il est bientôt l’heure d’aller en cours. Tu risques d’être en retard si tu ne te réveilles pas.
-Non, ça va pas. J’ai une migraine épouvantable et la tête qui tourne. J’sais pas ce que j’ai.
Bien évidemment, en bon parent consciencieux d’emblée elle ne me croit pas. Elle s’approche alors, me touche le front, me regarde droit dans les yeux dans le genre « Attention ne me mens pas !» et se rend finalement compte que je dis peut-être bien la vérité, pour conclure sa suspicion par un :
-Heu… Tu as de la fièvre. Tu penses pouvoir aller à l’école ou pas ?
-Non, je crois pas. J’suis vraiment pas bien là.
-… Bon… tant pis… repose-toi dans ce cas. Dors un peu et prends le petit déjeuner plus tard dans ce cas. On verra plus tard pour l’école.
-Ouai, merci.

C’est merveilleux de voir combien cela peut être arrangeant une maman. Bien évidemment ce n’est pas toujours ainsi non plus. Il arrive également que la sentence maternelle se montre beaucoup moins conciliante, parfois même affligeante. Mère fait partie de ce genre de personnes qui ont « l’œil ». Cela relève presque du surnaturel. Elle est capable de vous détecter les moindres petits détails anodins, si insignifiants que l’on s’en étonne même de voir qu’il est des gens capables de s’en rendre compte. Un jour où je n’avais pas fait ma lessive, j’ai mis un caleçon sale pour aller à l’école. Arrivé au salon en pantalon et chemise, Dieu m’est témoin qu’elle le remarqua à travers mes vêtements. Dieu seul sait comment ! Elle m’a alors sermonné comme l’aurait fait tout parent qui se respecte et intimé l’ordre, une fois rentré, de faire pour première tâche ma lessive ipso facto. Tâche dont je dus, bien évidemment, m’exécuter par la suite.

Néanmoins, outre les mauvais souvenirs familiaux, en ce moment je profite de ce congé forcé pour me reposer et retourner me lover dans les bras de Morphée. C’est merveilleux. Je suis dans le vague. Ma tête m’est toujours aussi lourde et ne semble décidément pas vouloir perdre de son poids. Pourtant il y a une certaine beauté dans cette souffrance, cet état de convalescence, cette quiétude dormant dans la chambre. Hormis un fin clair rayon de soleil filtré par les nuages de l’averse matinale, une certaine pâleur submerge la clarté de l’atmosphère. Ploc, ploc, ploc, ploc, ploc,… Ces délicieuses onomatopées résonnent à mes tympans telle la plus symphonique des berceuses. Mozart et Beethoven auraient certainement eu une plus grande renommée s’ils avaient disposé d’un instrument de musique reproduisant le son d’une douce rosée matinale. Soudain le crachin se fait plus violent et se change en déluge assourdissant. Le rythme de la symphonie s’accélère. Un coup d’éclair, un lourd son de tuba et de tambour s’intercalent dans les rouages de la machine musicale. Bercé par ce merveilleux concerto, je finis par m’abandonner au sommeil pour de bon. Que c’est bon…
Hhhmmm…
Grrrrrr…

Cette fois-ci, les gargouillis de mon ventre font office de réveil. Faut dire que lorsqu’on a une migraine carabinée, rester à jeun n’arrange pas vraiment les choses. Néanmoins concernant mon mal de tête, je dois avouer que je m’en porte fortement mieux qu’auparavant. Encore un peu dans le vague et légèrement fiévreux, cela s’apparente toutefois plus à un léger vague à l’âme qu’à un malaise post-traumatique. J’en conclus donc que ça va quand même mieux.
Finalement, n’en pouvant vraiment plus, j’ai fini par me lever pour aller me manger un morceau. Personne à table…
- Pourquoi pas ! , me dis-je tout haut.

Merde ! 14h47 sur l’horloge du salon. Vu le temps que j’ai dû passer sur mon lit à glander, je dois certainement m’être réveillé aux alentours de midi-treize heures. C’est sûr que vu l’heure les parents sont déjà retournés bosser et mon petit sportif de frère est déjà parti faire son tennis adoré. Parfois je me demande si je n’aurais pas été adopté, tellement ma naturelle nonchalance contraste avec le reste de la famille.
Oh ! Un petit mot de maman laissé sur l’armoire du salon.

Pascal, il y a des biscuits dans l’armoire au cas où tu voudrais grignoter. Cependant mange d’abord quelque chose de consistant avant.
Maman

Comme c’est gentil ! Pascal… En y regardant de plus près les conditions de ma naissance expliquent clairement cette naturelle nonchalance. Si je suis aujourd’hui un lève-tard, c’est uniquement parce que je suis un né-tard. Certains naissent en semaine, à la rigueur le samedi, je suis de ceux qui ont préféré attendre le jour de repos pour naître. Je suis né à midi, lors d’un dimanche de Pâque, d’où mon prénom. Le choix de mes parents de me nommer ainsi ne fit que graver au fer rouge le dimanche dans l’entièreté de mon être. Par ailleurs cette heure, elle-même, fut plus que déterminante dans le devenir de mon comportement. Naître à midi est plus que probant sur le fait que je fus et suis encore un lève-tard de naissance. Ce n’est pas par caprice que je suis fainéant, c’est congénital. Le plus ironique c’est que mon prénom complet est Pascal-Dominique. PD en sigle, pédé au primaire… Dure période que celle-ci fut pour moi. Non content d’avoir la chance d’être affabulé d’un sobriquet à forte connotation homosexuelle, j’ai dans mon patrimoine nominal une incantation au dimanche et à un congé religieux. Il n’y aurait honnêtement rien d’étonnant là-dedans à ce que je finisse raté plus tard étant donné que j’ai, depuis ma naissance, été conditionné au repos et à l’oisiveté. Certes il y a également une connotation religieuse dans mon conditionnement mais il semblerait que cette partie là m’ait quelque peu échappée. Non ! A dire vrai, je respecte à la lettre l’acte même de notre divin créateur. N’est-il pas dit qu’après avoir travaillé toute la semaine le Seigneur se serait reposé ? Il ne s’agit là que de l’un des préceptes religieux que je tiens fermement à respecter. Il se peut qu’il m’arrive, effectivement, par moment, involontairement, de perdurer ce rituel dominical en semaine dominicale, mais ce n’est que par foi religieuse. J’ai lu quelque part que la conversation avec le divin résultait d’un état de profonde paix spirituelle. Certains l’atteignent en priant, d’autres en méditant, d’autres encore en éprouvant leurs capacités physiques ou en ingurgitant moult substances chimiques douteuses ; moi c’est en glandant. Attention point d’amalgame ; il est primordial de savoir qu’il existe une forte différence entre le fait de glander et celui de ne rien glander ! Cette thématique est bien plus qu’une simple question de sémantique. Il s’agit là de deux conceptions symétriquement opposées. Ne rien glander revient à ne rien faire, ne penser à rien. Or glander consiste à faire rien, à penser à rien. C’est en fait une question de positivisme. Lorsqu’on glande, on ne fait pas rien, on ne pense pas à rien ; on fait quelque chose, on fait ce rien, on pense à quelque chose, on pense à ce rien. Ce rien n’a rien de rien, ce rien est en fait tout, car il donne tout un sens à cette action inactive. En toute honnêteté, lorsqu’il m’arrive d’être là à faire rien, assis ou couché, à penser à rien, que ma tête se vide, que mon corps perd toute vitalité, devenant inerte tel un reptile se prélassant au soleil, il m’arrive fermement de penser être en communication avec un être supérieur. Par moment il m’arrive même de penser que la solution du millénaire mystère de la vie se trouve dans la glandouille. Ca peut paraître dingue dit comme ça, mais quand on est dans cet état d’esprit le tout devient limpide. Dans ces moments je prends pleinement conscience de l’absurdité de la vie. Camus avait vu juste. Le monde n’est qu’absurde. La répétitivité de la vie ne rime à rien. Se lever, partir bosser, bosser, bouffer, rebosser, rentrer, dormir, se lever le lendemain et ainsi de suite sans fin. Ainsi toute parcelle de féerie, de beauté, de surprise est totalement inexistante.
Dieu qu’il n’y a aucun sens à une telle vie !

Néanmoins l’absurdité suprême relève, je pense, de cette tentative même d’y trouver un sens.

-Hhhaaaa… Il fait si chaud !
Je sors dehors m’assoir au jardin afin de prendre un peu l’air. Un petit livre à la main de quoi se cultiver si la force y est. J’approche la petite table à mon fauteuil de quoi poser mon petit verre pour me réhydrater à l’occasion. Ma petite radio branchée sur la rallonge à côté de moi de quoi faire passer le temps au cas où l’ennui me prendrait. Chaque geste est fait avec une méticulosité religieuse. Un sacre silencieux, une hymne à la paix, le tout orchestré dans la plus grande piété. Je me pose enfin sur mon siège. Je m’imagine astronaute s’en allant bientôt pour l’infini de l’espace. C’est formidable d’écouter cet accord magique de silence et de bruit régnant dans la nature. Le silence de l’après-midi semble s’être pleinement emparé de l’atmosphère. Le vent lui-même semble se conformer à ce mutisme car seul un fin, sporadique et silencieux léger courant d’air se permet encore une espiègle promenade dans la nature. Pourtant au dehors de ce silence, une certaine activité s’entend malgré tout. Le bruit des passants à la rue et le brouhaha de leurs conversations filtrent au loin. De petits oiseaux chantonnent dans les arbres et les insectes en tout genre s’en donnent à cœur joie pour crier à tue-tête. Bien qu’il faille faire preuve d’une certaine acuité auditive pour les entendre, les murmures de la nature sont parfaitement audibles. Au fil de cette symphonie, la vilaine migraine qui avait refusé de s’en aller auparavant semble enfin s’estomper à son tour. L’air de rien je ne lui en veux pas tant que ce mal de crâne. S’il ne m’avait pas pourri ma matinée je n’aurais certainement pu profiter d’une telle sérénité.

Je ne tiens plus. C’est trop dur de penser. Alors je sombre lentement dans un sommeil forcé…
Papa. Le bougre vient de me réveiller à coup de klaxon. Il fait déjà sombre, j’ai dû dormir plus longtemps que prévu. Toujours au gazon, toujours, un bouquin sous la main, toujours la radio à côté. Un jour de plus au paradis. Le voilà qui sort de la voiture et s’approche vers moi.
-Alors le malade, comment s’est passée ta journée ?
-J’ai fait la paix avec le monde.
-Oh ! Vaste programme que tu viens là d’accomplir.
-Hmmm…
-Et comment fait-on ça ?
-Assieds-toi. Il suffit de s’asseoir et de faire rien.

jeudi 16 décembre 2010

Lettres de Colombie

par Roland Rugero

«L'histoire de la Colombie n'a pas été écrite avec la pointe du stylo, mais avec le bout d'une gomme.» Cette belle phrase du poète colombien Juan Manuel Roca aurait pu être la chute de cette chronique puisée devant un écran du CCF qui avait rassemblé les amis et membres du Samandari ce 2 décembre. La Colombie, marquée par deux cent ans de violence politique et sociale, de guérrillas puis de groupes paramilitaires, l'un des plus grands foyers de production de drogue et deuxième pour le nombre de ses réfugiés intérieurs au monde...
La Colombie, pays où le salsa est roi, puissance économique de l'Amérique du Sud, très marquée par la religion catholique, vivant au rythme des croisements entre cultures amérindienne, africaine et espagnole et depuis les années 1990 envahie par la culture américaine.

Pays des contradictions, où l'on croise côte à côte la Vierge et le portrait du Che. «Etre colombien est un accident administratif», selon l'écrivain Juan Gabriel Vásquez. C'est savoir vivre avec une colère jamais éteinte face à l'impuissance d'une jeunesse qui se consume dans les cartels de drogue, et ses barons, et ses bidonvilles. «Nous vivons un massacre permanent, physique et spirituel» n'hésite pas à lancer l'un de ces douze auteurs majeurs de la littérature contemporaine colombienne dans ce documentaire. Si c'est une question de survie pour les uns, ces auteurs continuent quant à eux à s'interroger sur la condition humaine. Certains proposent même de rêver.
D'ailleurs, «le but de l'écrivain est de poser des questions le plus intelligemment possible», rappelle Juan Gabriel Vásquez. C'est aussi tout simplement écrire, parler, car «le pire pour une société est d'être réduite au silence face à sa violence.» Et ça c'est une poète burundaise qui le dit.

samedi 11 décembre 2010

Cette graine

par Roland Rugero

Il est de ces hommes tout à la fois appréciés et décriés, honnis parfois. Il a le verbe facile, sait admirablement puiser dans les classiques de la littérature françcaise et s'en sert pour enflamer la blogosphère burundaise. Ce soir là, le Samandari lui a prête l'oreille, nous parlant de son deuxième roman L'autre face du clandestin. C'est un récit picaresque d'un jeune burundais qui a fui les massacres de l'université burundaise au plus fort de la crise de 1995- institution dans laquelle il mène des études littéraires, « le droit [qu'il voulait faire auparavant] étant réservé aux Tutsi » ; l'a-t-on averti.... Il part pour une vie estudiantine au Cameroun puis tente l'Europe, pour se fixer aux Pays-Bas.

Un récit qui ressemble étrangement à la vie de son auteur. Dans L'autre face du clandestin, « je m'interroge sur le regard de celui qui fixe un étranger» explique-t-il calmement. Et l'écrivain l'a vécu, ce regard, quand il rentre du Rwanda juste avant 1993. Parce qu'il ne parlait pas kirundi, il est conduit devant les tribunaux populaires de cette Kamenge rebelle du début de la Crise, « au quartier Gikizi où j'ai creusé ma propore tombe! » Quelques minutes avant que ses bourreaux ne l'y jettent, un chef le gracie, préférant donner à ce clandestin ancien séminariste la chance d'apprendre la langue nationale. Moment qui le marquera à jamais, comme la perte de sa mère, à laquelle elle dédie d'ailleurs son oeuvre.

Et c'est aussi un événement qui nourira le questionnement identitaire de cet auteur qui a préféré adopter « l'indentité humaine », comme L'Albinos (son quatrième roman). Car, entre la culture burundaise pronant l'intériorisation et celle du Cameroun où l'on se ne gêne pas pour étaler ses états d'âme, il a fallu choisir. Le choix fut aussi politique, que certains ne lui pardonnent pas. Le Cndd-Fdd : comment allier la liberté d'un artiste et les devoirs d'un militant? Notre homme parle de foi dans des principes, souligne aussi sa lucidité : «Pour un régime issu du maquis, on peut facilement faire peu de cas d'une vie humaine!» Etonnant, non, ce Daniel Kabuto (le petit grain, en kirundi) ?