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Café Littéraire. Espace ou naissent et se croisent toutes formes d'écrits: slams/poésie/contes/nouvelles/romans/théâtre. Tous les jeudis de 18h à 20h au CEBULAC (Burundi Palace, 1er étage), en plein centre de Bujumbura. Entrée libre et gratuite.

lundi 27 mai 2013

D’avril

Avril n’est pas que le mois des pluies au Burundi. C’est aussi le mois de deuil. Et des mauvais souvenirs ...
Par Thierry Manirambona
Bruxelles, ce 1er avril : présentation du livre de Jacques Claessens,
avec la présence de l'ambassadeur du Burundi en Belgique ...
Les Burundais se souviennent de leur président Ntaryamira Sylvestre qui est mort le 6 avril dans un attentat contre l’avion du président rwandais Habyarimana Juvénal. C’était en 1994, un passé qui n’est pas très lointain. Ils se souviennent aussi des « événements de 1972 ». Avril 1972. Une année  qui a endeuillé le Burundi, des milliers de vies disparues et dont le souvenir hante toujours les esprits. Il y a aussi les Martyrs de Buta ...
Les politiques, les médias et la société civile en parlent. Les citoyens ordinaires racontent ce qui s’est passé. Et sur différentes plateformes, le Mal est raconté.
Dans une autre forme de mise en récit, les écrivains et les artistes parlent eux-aussi du Mal en le dénonçant, en dénonçant les coupables, en invitant les Burundais à une longue marche vers la réconciliation. Et ce n’est pas qu’au Burundi qu’on le fait, en dehors des frontières du pays, l’engagement artistique et littéraire est le même.
Cette année, deux événements, littéraire, artistique, sont tombés à point pour parler autrement et indirectement d’avril.
Il s’agit d’abord d’une rencontre du 1er avril 2013 qui a eu lieu à Bruxelles, et durant laquelle Fabien Cishahayo et Constance Fréchette Claessens présentaient le livre « Uncri… de liberté » de Jacques Claessens. Le premier, professeur en communication au Canada, a rencontré l'auteur du livre et a été « marqué pour la vie ». La seconde est l'épouse de Jacques. Les deux présentaient donc ce livre de 788 pages, qui raconte la vie et l’œuvre d’un bâtisseur, d’un explorateur, d'un homme qui a servi le Burundi avec beaucoup de passion. Malheureusement, il devra cesser, non sans peine, son aventure au Burundi. « Brusquement, inopinément, une nuit, je dois fuir ce pays que j’aime. L’Afrique génocidaire se dessine », écrira-t-il.
Ce livre mérite d’être lu, relu et partagé. A la manière des livres de Michel Kayoya, Un cri de liberté pose des questions sur des thèmes variés, lesquelles questions peuvent être d’une grande inspiration pour tout citoyen burundais engagé dans la construction de son pays. Une autre façon de sortir d’avril.
Dans un autre genre, Frédérique Lecomte, metteur en scène, avec un groupe de comédiens burundais a présenté une comédie musicale, Amakuba, à Louvain-la-Neuve en date du 25 avril 2013.
Née en 1958, Frédérique Lecomte est metteur en scène, interprète, comédienne, auteur dramatique, sociologue. Elle est directrice et initiatrice du concept « Théâtre & Réconciliation ». Elle est aussi membre de la société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD). Parmi ses réalisations au Burundi, on peut citer Si Ayo Guhora, 150 représentations, 160.000 spectateurs.
L’affiche de la pièce de théâtre présentait la comédie en ces mots : Amakuba : 4 acteurs burundais : (pas) gentils, (pas) exotiques, (pas) politiquement corrects. Dans une comédie musicale sur les (c)rimes authentiques de l’Afrique centrale.
Cette représentation théâtrale aborde de façon frontale, la question ethnique, les différents conflits qui ont endeuillé le Burundi et surtout insiste sur la réconciliation.
Outre son réalisme dans sa façon d’aborder ces thèmes, l’originalité de la pièce tient aussi par son genre même : une comédie musicale. Le chant et la danse accompagnent les dialogues tout le long de la pièce.
Ce qui est le plus intéressant encore, c’est qu’après la représentation, les acteurs et l’auteur et metteur en scène de la pièce de théâtre échangent avec le public. Non seulement, le public pose différents questions aux comédiens et à Frédérique Lecomte, mais aussi les gens ont l’occasion d’échanger et de donner leurs opinions sur les conflits qu’a connus le Burundi, sur l’impact du théâtre et de l’art dans la réconciliation. Une occasion d’aborder des questions épineuses qui concernent la société burundaise. Une autre façon de parler d’avril.
Une autre façon de parler d’émergence, de vivre ensemble.

dimanche 19 mai 2013

Kebir Ammi : « Dans l'écrivain, il y a l'obsession du langage »

Professeur d’anglais en France, Kebir Ammi (ici au Centre d'Information
de l'Ambassade des États-Unis au Burundi) est également co-fondateur
du Magazine Littéraire du Maroc. Il a publié, notamment aux éditions
Gallimard, 
Le ciel sans détoursLes vertus immorales et Mardochée …

En résidence d'auteur à l'Institut Français du Burundi pour une semaine, l'écrivain marocain évoque ses rencontres dans les ateliers d'écriture, le pays, l'Afrique.
Quatre jours passés à travailler avec une vingtaine d'auteurs confirmés ou pas sur l'autobiographie … Pourquoi cette thématique ?
Il y a d'abord une rencontre passionnante : le premier récit autobiographique connu, Les Confessions, de Saint-Augustin. C'est au 4ème Siècle après Jésus-Christ, l'Algérie s'appelle encore Numidie, et le philosophe parle, à Rome, de « retourner chez moi en Afrique ». Malheureusement, les universités et les intellectuels africains ont oublié cet écrivain-là, des leurs, pour ne garder que l'homme d'Église. C'est mon point de départ vers l'autobiographie. J'ai justement lu des extraits de celle de Saint-Augustin aux participants à les ateliers, et ils n'en revenaient pas !
Pourquoi ?
L'intuition du philosophe, qui raconte, à son époque déjà, ce qui fait la richesse d'un récit autobiographique : la sincérité, le détail. Lire le plus grand penseur du Moyen Âge, l'un des quatre Pères de l'Église latine, qui raconte avoir fait l'école buissonnière, comment il préférait les mathématiques au grec, la relation difficile entre son père et sa mère, … c'est saisissant. Voilà ma soif à partager !
Et vous sentez de l'intérêt chez ceux qui découvrent avec vous cette expression littéraire ?
Oui. Beaucoup ! L'autobiographie met en place des mécanismes intérieurs extraordinaires. Pour nous, de cultures musulmanes où le récit à la première personne du singulier n'existe pas, c'est l'occasion d'affirmer sa vision, de raconter le monde en retrait du groupe, du « nous ». et je crois que ce travail est important pour le Burundi, avec ses obstacles, une histoire difficile. C'est aussi un cheminement dur, l'écriture. J'ai expliqué qu'on ne devient pas écrivain au bout d'un atelier d'écriture. Certains n'ont pas voulu le comprendre, malheureusement …
C'est à dire ?
Un récit, ce n'est pas 10, 20 lignes, 100 : c'est une langue, le rapport de l'auteur à la langue. Dans ce qu'il écrit, on y retrouve sa mère, ses joies, son enfances, ses souffrances, … Dans la littérature, qui est avant tout un « jeu », l'écrivain déploie un langage qui s'exprime à travers son rapport au monde. Il y a chez lui l'obsession du langage, puisé dans divers lieux. Quand vous lisez García Márquez, Vargas Llosa, Carlos Fuentes ou Alejo Carpentier, il y a quelque chose de plus qu'un récit. Certains auteurs vous permettent de voyager deux, trois heures. D'autres toute une vie.
Il y a un sujet qui vous tient à cœur : la rencontre des mondes littéraires entre l'Afrique du Nord et la Subsaharienne …
Oui. En 2009, les Algériens organisaient le Festival Panafricain, en invitant notamment les écrivains du continent, et mêmes ceux ayant des racines africaines comme ceux des Antilles, à Alger. C'était une idée très intéressante, même si je regrette qu'il n'y ait pas eu des voix venant du monde anglophone, et que l'ouvrage commun publié à l'occasion, Encrages Africains, n'ait pas connu de suite … Mais depuis, des initiatives individuelles ont suivi : si je suis au Burundi, c'est grâce à Eugène Ébodé, du Cameroun, qui lui-même était au Salon du livre de Casablanca avec d'autres écrivains comme l'Ivoirienne Tanella Boni, le Congolais Henri Lopes, etc. Ces échanges, ces voyages sont très importants.
Justement, que ressentez-vous à propos de la littérature africaine d'expression anglophone ?
Elle me semble avoir trouvé un territoire de fiction, un peu plus que chez nous autres d'expression francophone … Et que cela soit pour nos provenances (sur le continent, dans nos pays, nos communautés) ou pour nos langues, l'essentiel est de garder à l'esprit que l'écrivain n'est le porte-parole de quoi que ce soit d'autre que ses blessures, de lui-même. Pas d'une nation, ou même d'un continent. Et puis, comme je l'expliquais à l'Université du Burundi où l'on me parlait tant et tant de l'Europe, je peux me sentir proche d'un écrivain burundais ou chinois que d'un récit marocain. La littérature invite à l'ouverture, au voyage. Elle n'enferme pas dans des références.
Une impression du Burundi ?
J'ai été ébloui par la richesse et la beauté de la nature du pays, sur la route menant à l'Alliance de Gitega, où j'ai reçu un accueil très chaleureux, des élèves courtois, préparés, des professeurs engagés. En revenant à la nature, c'est dommage qu'on la laisse inconnue. C'est presqu'un crime. Si j'étais burundais, j'écrirais un roman là-dessus, et ce serait peut-être l’œuvre la plus engagée du pays car je célébrerai mes racines, le chez-moi.
Propos recueillis par Roland Rugero

mercredi 8 mai 2013

"La descente aux enfers", un roman historique

L'ouvrage est disponible à la
Librairie Saint Paul

Dans la préface de ce roman de Misago Aloys publié en mai 2012 en Belgique, Marc Quaghebeur, écrivain, critique et Directeur des Archives et Musée de la Littérature à Bruxelles concède : "Si l’histoire est souvent lente à trouver les formes de sa mémoire intégrée ou à être partagée collectivement, et si le passage de la mémoire orale à la tradition écrite constitue un processus tout aussi complexe, il n’en reste pas moins que le passage (au légendaire ou au fictionnel) finit toujours par advenir ; et que le roman, par la liberté de ses formes, est de ceux qui aident à plonger au plus intime du tragique de l’histoire."
L’auteur qualifie son œuvre de « roman historique » ? Oui, car le livre part du vécu des Burundais suite au génocide, à la guerre et aux massacres. De l’avis de Quaghebeur : "Les pages d’Aloys Misago sont de celles qui ne s’oublient pas. Elles restituent. Mais elles tracent également un avenir, au-delà de l’horreur et de la souffrance, qui ne concerne pas le seul héros", alors que sur la couverture du livre, nous lisons déjà : "Le livre d’Aloys Misago change la donne et fait entrer son lecteur dans une restitution profonde et émouvante des années de sang à travers la destruction d’une famille entière et l’histoire du très jeune Ndayi. La lente et difficile assomption de ce dernier vers une attitude capable de défendre la vengeance donne son prix à cette fiction dont on pressent qu’elle plonge dans la mémoire hantée des morts de son auteur." 
A la fin du livre, l’auteur qui lance un défi à cette « descente aux enfers » en prônant l’amour, le pardon et la tolérance s’exprime ainsi dans la bouche du personnage principal : « Le Dieu de l’Histoire que Ndayi venait de découvrir dans la Bible dont lui avait fait cadeau le missionnaire se rappellerait à jamais ce sacrifice et bénirait cette terre chérie et meurtrie, ces âmes blessées et déchirées, ce peuple troublé et désorienté. »
Note sur l’auteur : Aloys Misago est né en 1958 dans l’actuelle province de Makamba. Les troubles que le pays a connus en 1972 l’ont profondément marqué. Il a perdu son père cette année-là et sa mère s’en est allée en 1997 suite à la crise déclenchée en 1993, après l’assassinat du Président Melchior Ndadaye. Misago a fait des études de philosophie, de théologie, d’anthropologie et de sociologie en Allemagne avant d’aller travailler à un programme d’aide aux réfugiés en Tanzanie (de 1999 à 2006)., puis de rentrer au Burundi où il travaille dans un établissement para-public.
Daniel Kabuto

mercredi 1 mai 2013

Dorcy Rugamba : «Montrer comment la parole tue »


Dorcy Rugamba, dans Hate Radio, incarne un journaliste extrémiste dans la radio des mille collines qui a joué un terrible rôle dans la préparation du génocide rwandais. Rencontre avec l'acteur.

« Ce qui a vraiment été dit et fait » : La Radio Télévision Libre 
des Mille Collines (RTLM) était une station de radio rwandaise, 
qui émit du 8  juillet 1993 au 31 juillet 1994 et joua un rôle significatif 
durant le génocide au Rwanda. Pour Milo Rau, metteur en scène 
de “Hate Radio”, cette pièce est une sorte d’exposition de «ce qui 
a vraiment été dit et fait». Ceci explique la reconstruction de la RTLM 
sur scène. Milo Rau espère que la pièce va susciter beaucoup de 
discussions. «  Nous découvrons un univers de la cruauté, un vrai 
chef-d’œuvre de l’inhumanité, nous devons toujours nous dire  : Ceci a 
vraiment été dit, à la  radio, et tout le monde l’a entendu. Ceci est la réalité. » 
«  Les ténors de la radio, Valérie Bemeriki et Habimana Kantano, sans oublier 
l’Italo-belge Georges Ruggiu sont les personnages principaux de cette tragédie. 
Condamnée pour génocide, Mme Bemeriki est en prison au Rwanda, tandis 
que Kantano est décédé en août 1994 dans un camp de réfugiés de l’ex-Zaïre, 
peu après avoir fui son pays. Quant à Ruggiu, il est aujourd’hui libre après 
avoir purgé la peine que lui avait infligée le Tribunal pénal international pour 
le Rwanda (TPIR) basé à Arusha, en Tanzanie. Le drame fait alterner la 
reconstitution d’émissions de la RTLM et les souvenirs saisissants des 
témoins de l’époque du génocide. “Hate Radio” veut rappeler que tout cela 
s’est bien passé,  que ce n’est pas de la fiction. “Ceci est une possibilité  humaine, 
même si c’est la plus inhumaine. Et c’est pour ça qu’il faut en parler, parce que 
laisser ces choses dans le silence serait irrespectueux non seulement envers ceux 
qui les ont vécues directement, mais aussi envers tout ceux qui, si nous 
n’en parlons pas, pourraient les vivre de nouveau” explique encore Milo Rau.
En quelques mots, quelle est la genèse de cette pièce de théâtre ?

Hate Radio est une pièce sur la RTLM, une radio extrémiste devenue tristement célèbre durant le génocide au Rwanda. C’est un projet initié par l’Institut International du Meurtre Politique, basé en Allemagne et qui crée des spectacles basés sur la reconstitution d’évènements historiques. Ainsi, dans
la pièce «Hate Radio», le studio de la RTLM a été reconstruit sur scène et le texte de la pièce est tiré des transcriptions des paroles tenues à l’antenne par les journalistes de la RTLM.


Quels sont les principaux acteurs de la pièce? Et vous, vous jouez quel rôle ?

Il y a quatre acteurs pour incarner quatre journalistes de la RTLM. Bien entendu dans la véritable RTLM il y avait plus de journalistes. Pour la pièce, quatre journalistes emblématiques ont été retenus : la journaliste Valérie Bemeriki incarnée par Nancy Nkusi, le journaliste belge Georges Ruggiu, qui est joué par Sébastien Foucault, le dj de la RTLM dont le rôle est confié à Afazali Dewaele, et moi je joue le rôle de l’animateur de la radio Kantano Habimana.

Une pièce a toujours un message à transmettre, quel est le message de « Hate radio» ?

Au fond, quand on écoute le contenu de la RTLM, on comprend l’idéologie sur laquelle s’est faite le génocide et comment fonctionne un discours raciste. En plus de l’information sur le fonctionnement de cette radio de la haine, la pièce montre comment la propagande use de tous les moyens pour diffuser son message : la musique, la comédie, les émissions pour enfants, etc.

Est- ce que ce genre de pièce ne risque pas plutôt de rouvrir les blessures pas tout à fait cicatrisées d’une société rwandaise traumatisée par le génocide ?

C’est une bonne question et nous avons joué au Rwanda en prenant beaucoup de précautions. Nous avons fait trois représentations toujours précédées de débats et de discussions avec les spectateurs. Il faut faire le pari de l’intelligence et espérer qu’un spectacle de ce type puisse nous dégoûter de toute complaisance avec tout discours de haine. Quelle que soit la cible, Tutsi, Twa, Hutu, Etranger, Blanc, Noir, Homosexuel etc. A l’extrême de tout discours stigmatisant, il y a la mort. La parole précède toujours et le crime suit. Et «Hate Radio» est une occasion de montrer comment la parole tue.

Une représentation est possible au Burundi ? 

Bien sûr, je pense que ce serait une bonne chose que la pièce soit vue au Burundi. Le Burundi a lui aussi connu une histoire violente avec des médias qui n’ont pas tous évité la dérive extrémiste et la stigmatisation raciale. J’espère qu’une institution culturelle burundaise invitera la pièce un jour pour qu’elle soit présentée au public burundais.