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Café Littéraire. Espace ou naissent et se croisent toutes formes d'écrits: slams/poésie/contes/nouvelles/romans/théâtre. Tous les jeudis de 18h à 20h au CEBULAC (Burundi Palace, 1er étage), en plein centre de Bujumbura. Entrée libre et gratuite.

mercredi 29 juin 2011

Le chômeur

Discours entre un chômeur (en italique) et un poète
par Thierry Manirambona & Roland Rugero

Au nom du Père et du fils et du Saint Esprit…
Vers les cités interdites de la République, je m'incline
avec respect, les larmes dans les yeux et une faim qui me tenaille
je m'incline
car, pas plus tard que demain, je serai à l'autre bout du Tanganyika

tiens, un homme est adossé contre un vieux poteau
c'est con comme il s'arrête à tout instant
con son regard,
regard hagard, des yeux béants
des yeux étincelants de soif
assoiffé de boulot, assoiffé de respect
déshumanisé
et pourtant il avait tout...
un diplôme chiffonné
qui a fait le tour des ministères
et de tous les bureaux de la ville
une chemise sans aucun bouton qui laisse voir son torse
et ses bras minces
des bras d'un homme affamé
un homme désespéré
qui est-il ce marcheur ?

Kyrie Eleison
du pain du pain et de la chaleur
je meurs de froid, de tentation et d'une débauche qui me fait mal

Il a les yeux rouges de joie
Il a les mains sales de ne rien faire
Il a la peau caillée de froid, de chaud
Il n'en sait plus rien. Il vit entre ciel et terre
Exactement sur l'avenue de l'Indépendance
Où il chante chaque matin la Messe de la Faim

Je danse la messe du pêcheur
petit poisson deviendra grand ?
Jamais
mon œil
petit poisson,non !, petit paysan mourra petit
petit poisson ne deviendra jamais grand
on le pêchera, on le mangera cru
les gros poissons l'avaleront jeune
petit poisson, petit fonctionnaire, jamais, ne deviendra-t-il grand

C'est un fonctionnaire de quarante-cinq ans,
Grand militant devant Dieu et les hommes
Du Parti pour le Peuple, le Patriotisme et la Paix
Par lucidité : « Occupe-toi d'elle, sinon elle va
Se charger de toi », lui a-t-on toujours conseillé,
Par volonté donc, il s'est marié au PPPP

au nom du père et du fils et du saint esprit
je meurs
amen
pas de Pâques pour moi
pas de Pentecôte
pour moi : la passion
la flagellation
le pain sans levain
et des mois de ramadan, lot du chômeur

l'homme des cabarets
Quand la nuit tombe sur la ville
il s'éloigne du beau monde
et s'en va cuver sa honte dans des coins mal éclairés
loin des regards de ses anciens amis
il n'a ni sou pour une liqueur bien décantée
ni le courage d'aller à la plage
ni la joie d'être avec ses semblables, les chômeurs
voltigeur des saisons, il s'en va
lent comme la tortue des collines
y a comme des rais de démence dans son regard
et un immense désir de partir très loin
il n' a pas le courage de finir comme un homme
tant la misère l'avilit et le déshumanise

de tout ce qui me reste, à la boulangerie la plus proche
j’achèterai trois pains
et deux cartes postales
des cartes postales avec de grosses images du pays
histoire de mourir patriote
et trois pains de viatique
un pain pour le mendiant qui demandait la charité avec moi
un pain pour apaiser ma faim
et l'autre pour l'agent des morgues
qu'il ait la force de m'achever
et de m'enterrer dignement
et d’écrire sur la pierre tombale
en gras caractère et en trois langues
le grec, le kirundi et une langue encore inconnue
« Ci-gît la misère »
« Ci-gît un chômeur »

Que ce fut beau ! Tenez : au soir d'un jour de mai 2015,
Il s'en allait par allées et travées endimanchées
De couleurs vives de son parti-amour, chantant
Les mérites d'un message fort, vigoureux, viril,
Engagé, éternel, charmant, unique, sain,
Triomphant et salutaire. Il en était un disciple.

Je ne suis, désormais qu’un marcheur affamé
Interdit des cités de la République
Là où je vis
y a des territoires des pauvres
des cités endormies pour veuves
et des orphelinats pour les chômeurs
y a aussi des policiers pour tabasser les mendiants
des tireurs d'élite pour les prostituées
y a à chaque coin de la rue
des kiosques qui, la nuit, proposent des menottes
pour les sans abris
y a de la boue dans les oreilles de la mairie
y a des trous, des fosses septiques sur le long de mon chemin
y a des villas pour le beau monde
y a des palaces pour la loi, les textes
y a des gratte ciels pour les gens qui font l'amour trois fois par jour
histoire de défier la résistance des matelas
quand le froid fait rage dans le dos du chômeur
je me dégoûte
je me dégoûte
Et je regrette les dîmes et les sommes versées dans la caisse publique

Le PPPP était devenu son pain, une ligne de conduite
Et d'hygiène. Il regardait le parti comme l'enfant
Fixe le sapin. Il aimait le parti comme le mendiant chérit
Une bonne mie de pain. Il bénissait le parti comme l'Ange
dit un jour : « Bénis soient les fruits de mes entrailles ».
Et il chantait tout cela à tue-tête, la tête tournée vers le ciel.

je m'érige, non en révolutionnaire
je me dresse, comme une folie qui bouillonne
un mourant qui déplore
un
deux
trois
quatre
je compte ma souffrance sur un kilomètre
sur cent kilomètres
sur tout le long de ma vie
de salaud
de mendiant
je pue
que je suis laid !
Avec une barbe d'un mois
des ongles qui sortent des chaussettes
une calvitie sur laquelle sont parsemées des touffes de cheveux rebelles

Avenue de l'Indépendance, il y passait, des chaussettes
A la chemise, du slip à la casquette, de gauche à droite,
Harnaché des symboles du PPPP. Il n'en était pas membre,
Il en était un bras, une jambe, un organe à lui tout-seul,
Prêt à servir ce corps si admirable, le PPP, devenu son Pain,
Sa Providence, son Parfum et son Père. Il l'aimait.

Je fais vœu de chagrin
Des maux d’estomac
De la pendaison
Ex graduat des écoles sans avenir
Doctorat ès Chagrin
D’une vie précaire
Je m’en vais salissant le temps.
Ce soir
de ma cravate, je vais me pendre
sur la place publique, je vais dirai adieu
je toiserai la vie avec mépris
enlèverai mes chaussures et mes chaussettes
qui puent la misère
catholique pratiquant
je ferai le signe de la croix
et courageusement je mettrai fin à tout
à la vie
au salaire
au souci
à la joie
à l'amour
et surtout au mépris
point
trait

Il a les yeux rouges de joie
Il a les mains sales de ne rien faire
Il a la peau caillée de froid, de chaud
Il n'en sait plus rien. Il vit entre ciel et terre
Exactement sur l'avenue de l'Indépendance
Où il chante chaque matin la Messe de la Faim

Et ce sera la fin de tout
Des nuits longues attendant l’appel de la République
Et des ministères qui m’assassinent d’attendre
Je n’attendrai plus
Car je mérite mieux
J’attends le dernier papillon
Qu’il s’envole pour annoncer mon départ
Et d’un geste, j’arrête le moteur
Je meurs, ce soir, seul
Chômeur…
De la République

mardi 28 juin 2011

Toussaint Louverture, Haïti et la France

II fut le premier pays noir à obtenir l'Indépendance après le départ de l'armée de Napoléon Bonaparte, devenant depuis le seul pays francophone indépendant des Caraïbes... Haïti, c'est aussi le plus pauvre des nations du continent américain, avec plus de 50% de la population dans la pauvreté totale. Dans ce documentaire de 52 minutes réalisé par Laurent Lutaud, il y est question de Toussaint Louverture, surnommé le « premier des Noirs », qui meurt dans un cachot en France en avril 1803. Ce film retrace la vie de Toussaint Louverture, à l’origine de la première déclaration d’indépendance d’une colonie : « Derrière cette figure de légende, c’est l’histoire exemplaire et tragique d’Haïti qui nous est présentée … mais aussi celle de l’esclavage en France, un phénomène considérable et pourtant méconnu », annonce le programme de l'IFB, qui propose la projection du film ce mardi 28 juin à 18h. Le débat sur ce documentaire se poursuivra le jeudi 30 juin au café-littéraire Samandari, de 18h à 20h avec le commentaire fort éclairé de Dr Colin Nicholls, représentant de l'Unesco au Burundi. (Roland Rugero, Iwacu)

lundi 13 juin 2011

Autour des mots : quand le Samandari rencontrait Ishyo Arts Centrer...

C’était à Kigali. Samedi 29 avril 2011. Il faisait chaud, ce soir-là. Une chaleur née d’une rencontre entre Ishyo Arts Centre, un centre culturel rwandais au cœur de Kigali et le Samandari, un café-littéraire burundais. Une soirée de partage. Par Thierry Manirambona.

La soirée commence par l’ikondera, la corne. Du fond de la salle s'avance une danse. Trois jeunes gens miment la vache. Un pas en avant et puis un autre. Dandinements : le souffle puissant des danseurs traverse les cornes de vache en donnant un son qui embaume l'atmosphère de tons puissants. Une fois sur scène, les danseurs restent comme figés. La danse et la musique se meurent pour laisser une voix féminine, chaude, lire un texte. Il existait un homme du nom de Samandari ...
Ainsi commence la lecture des textes préparés pour la soirée littéraire.

La lecture du premier texte finie, Carole Karemera, à la tête d'Ishyo Arts Center accueille les invités, trois membres de Samandari Ketty Nivyabandi, Roland Rugero et moi-même. Puis le regard se tourne vers la trentaine de personnes présentes : des comédiens d’Ishyo et des habitués du centre avant de laisser Ketty et Roland, initiateurs du Samandari, parler de la naissance et des activités du café littéraire burundais.
Le décor de la scène change. L’ikondera reprend. Certains projecteurs sont éteints sur scène pour ne laisser qu’une faible lueur presque bleue : une ambiance poétique pour passer aux choses sérieuses. C'est le moment d’écouter les textes de la soirée.

Une ambiance de paix

Des hauts des tabourets, Carole et trois comédiens, une jeune fille et deux jeunes garçons, lisent les textes. Le silence est totaItaliquel. On n’entend les mots lus et chantés fendre le silence pour créer une atmosphère de paix, de quiétude. Le sourire et l’enfant de Roland (nouvelle primée d'une médaille de bronze aux VI èmes Jeux de la Francophonie à Beyrouth) , L’albinos de Thierry ( Premier trophée au Prix Michel Kayoya 2010), Trois ethnies et Les petits hommes de Ketty.
Du fond de la salle arrive l’écho des phrases chaque fois qu’un des comédiens sur scène hausse le ton. Dehors, il fait nuit mais on ne veut pas rentrer. Le public veut écouter les mots qui viennent de l’autre côté de la Kanyaru, du royaume de Nyaburunga.

La lecture d’un texte laisse place aux réactions. D’abord timides, les réactions abondent par la suite sous forme de commentaires directs, des questions aux auteurs… et le temps file sans qu’on s’en rendre compte.
La réaction aux lectures par les comédiens se prolonge avec des vers d'un vieux texte qui traînait depuis 6 ans dans les poches d’Hervé, un des comédiens, avant que ne débarquent les Premiers désir de réunion de Carole, un texte touchant que toute maman aimerait écrire à l’enfant qu’elle attend : Si tu viens au monde, je t’inonderai d’amour / Je te bercerai du soleil, de larmes de bonheur… /Tu ne découvriras jamais l’obscurité de la haine, de la solitude de la haine…
Enfin surgit Pays des grands lacs, mon amour, ma douleur, un long texte nostalgique sur le Burundi...

Une histoire partagée

Ce qui frappe le plus après la lecture des différents textes, c’est le fait que la douleur ressort vigoureusement des textes des Burundais et des Rwandais. Vive, lancinante, la souffrance s’exprime dans un poème qui s’adresse au pays natal que l’on a quitté tôt et qu’on aimerait revoir. Elle s’exprime par des mots d’indignation, des souvenirs atroces des guerres et des images que l’on n’oublie jamais.

En même temps, comme le dit bien le poème de Ketty, Trois petites ethnies; en pointant ces trois ethnies, une seule agonie, il y a le rappel que Rwandais et Burundais partageons beaucoup de choses. Que presque tous les textes littéraires présentés ce soir-là aient un ton de chagrin, soient des textes lyriques qui expriment la douleur des deux peuples cela fait comprendre l’histoire presque similaire des deux peuples voisins. Le Rwanda a connu des moments durs dans son histoire, le Burundi a été secoué par des atrocités sans nom.
Toutefois, les écrivains de part et d’autre de la Kanyaru ne parlent pas que de la souffrance. L’espoir, la joie, l’amour sont présents. Et d’ailleurs, notre mission rappelle-t-on dans la salle, c’est de véhiculer l’espoir.

Un forum

Si la littérature a été longtemps un domaine d'initiés, le Samandari et l'Ishyo Arts Centre, par les différentes rencontres qu'ils offrent peuvent prouver que " la littérature fait partie des expressions artistiques possibles et accessibles ", rappelle Roland. Il n’y a plus que des concerts, des expositions d’œuvres d’art plastique, il y a aussi, désormais, la littérature qui attire pas de plus en plus de gens. La preuve : ces soirées du Samandari que l'on décrit à Kigali, où ce petit monde réuni à Ishyo ce soir du 29 avril...
Outre la littérature, les deux espaces sont aussi des forums d’échange. La littérature n’est pas que lyrisme qui parle amour, déception, romance. Elle crée aussi un lieu où l'on parle de société. Lyrique, tout écrivain est un jour engagé, pour une cause ou une autre.