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Café Littéraire. Espace ou naissent et se croisent toutes formes d'écrits: slams/poésie/contes/nouvelles/romans/théâtre. Tous les jeudis de 18h à 20h au CEBULAC (Burundi Palace, 1er étage), en plein centre de Bujumbura. Entrée libre et gratuite.

jeudi 3 mai 2012

Quand on parle de "traduction" au Samandari


Belle soirée de débat au siège du Centre burundais de lecture et d'animation culturelle (Cebulac) ce soir du lundi 23 avril, entre universitaires et acteurs culturels burundais, dont des membres du café-littéraire ou du bureau de l'Unesco au Burundi. Thème en discussion : la traduction. Comment peut-elle favoriser une meilleure connaissance du monde par les Burundais, agrandir leur ouverture sur le monde, surtout les jeunes ? Concilie Bigirimana, professeur à l'Université du Burundi, chef du Département de langue française commence par brosser le tableau dans son institution : « Il n'y a pas de cours de traduction alors que traduire du kirundi en français est l'activité essentielle de nos étudiants, surtout lorsqu'il s'agit de rédiger des mémoires pour l'obtention d'une licence. » 

Des mémorands qui sont obligés de se rabattre sur la débrouille, comme le complète le professeur Domitien Nizigiyimana, du département Kirundi, qui voit l'effort de traduction au delà des seules filières 'langues' : « Imaginez dix étudiants qui partent sur terrain pour une enquête en médecine. Les symptômes, le milieu de vie, les conditions de vie de la population, tout cela est recueilli en kirundi. Reprendre tout cela en français n'est pas chose aisée, alors qu'il n'existe pas de lexique unique dans la langue de contact », complète-t-il. Une expérience à étendre aux facultés d'agriculture, de zoologie, de géologie, d'histoire, etc., ou encore aux ... journalistes !

Pourtant, pour Ketty Nivyabandi, poète et co-initiatrice du café-littéraire Samandari, « il faut d'emblée distinguer la traduction des œuvres littéraires encrées dans la fiction et celles plus académiques (recherches, documents officiels comme les lois, etc). » Les deux champs de traduction ont chacun sa spécificité, note-t-elle. Avant de appesantir sur la première : « En ce qui concerne les œuvres fictives, notamment le roman, la poésie, ou le conte, avec notre système actuel d'édition, on assume être un véritable écrivain quand on écrit en français. Dans un pays où l'on parle majoritairement le kirundi, la nécessité de la traduction vers notre langue maternelle pose à nous autres auteurs littéraires une grave question : pour qui écrivons-nous? »

Dans le même registre, Kwizera Emile, spécialiste de la déclamation de la poésie pastorale burundaise et en même temps cadre au ministère en charge de la Culture a rappelé « qu'encore faut-il que l'écrivain burundais qui souhaite écrire en kirundi, ou traduire une œuvre du français, de l'anglais ou du swahili vers sa langue maternelle maîtrise celle-ci ». Un cas rare, par les temps qui courent, selon tous les participants à la rencontre. D'ailleurs, Martin Ntirandekura, une quarantaine d'années dans le système éducatif burundais et coordonnateur de la publication d'une anthologie des auteurs de la régions des Grands-Lacs s'est interrogé : « Est-ce que les jeunes burundais parlent kirundi, ou parlent-ils en kirundi? » Rires dans l'assistance...

Face à toutes ces questions, deux recommandations : la première, régulièrement citée, est la re-mise sur pied de l'Académie Rundi (qui existe pourtant sur papier depuis... 1962 !). Avec elle, c'est la question du lexique uniformisé et à jour du kirundi qui est réglée, ainsi que la mise en place d'instruments qui permettent la rencontre entre la langue nationale du Burundi et les autres langues utilisées dans le pays (rédaction de dictionnaires, traductions d'oeuvres en français, anglais, etc.) « Cette académie faciliterait énormément le travail de traduction puisqu'elle permettrait de créer aussi des formations qualitatives reconnues en la matière », pointe Joséphine Ntahobari, du bureau burundais de l'Unesco.
La seconde recommandation, longuement défendue par le professeur Domitien Nizigiyimana, a été de commencer déjà à recueillir et traduire, dans la mesure du possible, les oeuvres en kirundi disponibles comme les contes.

Le mot de fin reviendra à Irina Bokova, ladirectrice de l'Unesco, dans son discours dédié à cette journée du 23 avril 2012 : « Notre rapport au livre détermine, pour une large part, notre rapport à la culture », lira Adams Sinarinzi, nouvelliste et membre du Samandari. On a envie de compléter par un autre extrait: « Volumen ou codex, manuscrit, imprimé, tablette numérique, le livre a changé cent fois de visages. Sur tous les supports, le livre matérialise les idées et les valeurs que les hommes et les femmes jugent dignes de transmettre. C’est un outil précieux de partage des savoirs, de compréhension mutuelle, d’ouverture aux autres et au monde. »

Par Roland Rugero