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Café Littéraire. Espace ou naissent et se croisent toutes formes d'écrits: slams/poésie/contes/nouvelles/romans/théâtre. Tous les jeudis de 18h à 20h au CEBULAC (Burundi Palace, 1er étage), en plein centre de Bujumbura. Entrée libre et gratuite.

mardi 25 octobre 2011

" Ce qu’il faut garder ", d'Abdoul Mtoka

« Ô mère, dis-moi
Ce Lac n’est-il pas à nous ?
N’est-ce pas toi
Qui m’as appris
Le secret des Pêcheurs
Qui vivaient sur la berge
Et qui protecteurs du Fort
Chantaient des psaumes merveilleux
Dans la nuit étoilée
Les rivages enchantés
Et les eaux argentées ?
Ah, ce temps-là, disais-tu
Régnaient calme, bon voisinage
Et noblesse vertueuse ! »

L’enfant entend encore
Cloîtré dans l’antichambre mémorielle
Surgir tous vifs, énergiques
Ces récits d’hier qui affluent
Un hier plongé dans la brume
De crainte d’écorcher le présent
Ou d’enrager les faussaires
D’une histoire sélective
Ou démasquer les usurpateurs
D’une demeure subtilisée,
Et dans cette tête encombrée
Par la cohue des souvenirs
Habitée par un monceau
De Nouvelles combustibles
Au fond d’une bâtisse
Insalubre et mitée
Secouée par les mistrals du temps
Il convoque la déposition
D’un témoin auriculaire
De notre profond désarroi.

« Ah, misérable destin !
Maudit soit le jour
Où les Envahisseurs sont arrivés
Nous ont tancés
Ont saccagé les villages
Ont spolié l’autochtone
Ont récupéré le Butin
Et l’étendue des bords lacustres
Comme par diverses rhétoriques
Ont aussi terrorisé nos esprits
Marqués au fer pourpré
Et nous déclarer par contumace
Comble des malheurs
Instigateurs de l’Invasion !
Mais le coup de grâce scélérat
Nos héritiers allaient payer
Le coût des deux peines
Au cœur des décombres. »

L’enfant observe tranquillement
Les joueurs de notre quartier
Valser avec un ballon rebelle
Sans violon ni hautbois
Des hourras d’euphorie explosent
Pour le but qui délivre
Engagé dans la lucarne
Par le retors aux pieds bénis
Le Messi(e) du recoin
Qui cadence, avance, lance, danse
Aux rythmes frénétiques
Evoquant l’ancestrale cérémonie
Et ce génie artistique
Qui électrise la foule
En proie à une forte et brusque
Convulsion métaphysique
Art réveillé, célébré, chanté !

« Ô mère, renseigne-moi
Sur les pervenches exotiques
Qui ont été pourchassées
Dans le Jardin des délices
Car distinguées, remarquables
Non par leur texture ni couleur
Mais par leurs méconnues odeurs
Langage sonore, lueur.

Ô mère, raconte-moi
Avaient-elles commis le même forfait
Qu’Adam et Eve
Dans l’autre jardin souillé
Par le même vœu qui nous tourmente
L’envie, ô misère, l’envie de l’homme ?
Est-ce que sucer un autre sein
Que celui de la mère revendiquée
Affecte le droit de séjour
Dans la maison maternelle ?

Ô mère, la tempête menace
La foudre courroucée frappe
Enseigne-moi la science
De lire dans les yeux d’un homme
Sa détresse ou son soulagement
Afin de lui décrocher la lune
Au plus sombre des ténèbres,
Non les tactiques acerbes
D’y plonger le regard boursicoteur
Pour évaluer l’utilité dont il me profite.

Ô mère, accorde-moi ta grâce
Que j’aille fouler les landes
Les vallées, les terres généreuses
De notre beau pays
Sans redouter de trébucher
Sur l’écueil d’un malveillant
L’arbitragiste du politique.

Ô mère, réapprends-moi
A vivre, à être libre
Car ce n’est ni livre ni ivre
Que je saurais être à la hauteur
De ce rêve d’un chez moi rassuré
Qui sera le chez nous à tous
Au-delà du destin singulier. »

Les Sages de notre quartier
(Peut-on vraiment traduire
Le mot Mzee dans cette langue ?)
Tout au long de la conversation
Boivent du café réchauffé
A l’ombre des cocotiers
Des palmiers, des manguiers
Qui fleurent le souffle vespéral
Erigés puissamment
De cette chair dure ocrée
Qui nous appartient
Triste souvenir éveillé
Dans l’inconscient étamé
De l’absence de pouvoir
Qui résume notre crédo.

Le marchand de poisson arrive
Déballant sa marchandise
L’odeur lisse de Tanganyika
Et de ceux qui se sont fait avoir
S’incruste dans les palais
Et l’on négocie leur prix
A coups de stratégie
A court d’imagination
L’on se résout à l’évidence
Ah, qu’il nous est ardu
De vivre loin des côtes.

Ce soir, la famille jubilera
On fumera la proie
On l’enduira d’épices
Et le septuagénaire lucide
Le cœur à la renverse
Se souviendra de l’enfance
En savourant amèrement
La chair et l’histoire
Des habitants du rivage
Qui vivaient paisiblement
Insouciants, fraternels
Avant la nouvelle ère
Du mensonge et de l’accusation.

« Fils, ce qu’il faut garder
C’est des milliers d’opprimés
Qui tanguent perdus
Dans les marigots de l’oubli,
Qui sous la rumeur impie
Subissent l’éperon du décret
Et des ordonnances infligées,
Qui flanchent soudainement
A la vue d’un haut-gradé,
Qui s’excusent volontiers
D’être, d’être là.

Fils, ce qu’il faut garder
C’est une foule d’enfants
Misérables, déboussolés
Soleils ardents de demain
Que tu ne vois sur le coup
Qui sont privés de carte
De statut, de mémoire altérée
Des laissés-pour-compte
Dont les rêves sont confisqués
Dès qu’ils affrontent le monde.

Fils, ce qu’il faut garder
C’est la Parole sacrée
Qui dans la pénombre
Veille sur les Nôtres
Qui nage dans le Poème
Ecrit dans le Livre ouvert
Que seuls les initiés
Peuvent encore déchiffrer
Qui parle d’océans, de fleurs
De lumière, de miel
D’olives, de raisins
De fleuves, de la lune
De l’exil toujours forcé
De la rédemption proche.

Fils, ce qu’il faut garder
C’est les plans de ton ennemi
Des toiles d’araignées,
La source où il puise
Du vin âcre de palmier
Non le lait nourrissant,
L’école où il dresse
Une caserne qui rudoie
Qui reproche, qui punit
Et qui jamais n’aime.

Fils, ce qu’il faut garder
C’est l’Espérance douloureuse
En un lendemain radieux. »

vendredi 21 octobre 2011

" Qui ? " La réponse de Roland Rugero

Après la publication du poème " Qui ? " de Ketty Nivyabandi, la réponse de Roland Rugero ...

Mère,

J'ai bien lu ton appel !

J'arrive, j'accours !

Oui, j'ai bien lu ta berceuse.

Que tu es forte,

Toi qui t'apprêtes à bercer dans ton dos

Sentant la lune et le doux soleil des terres apaisées,

« Un petit garçon aux airs de grand patron »

Que tu es si forte,

Comme j'ai envie de te dire tout sur moi,

Sur celui « qui m'a fait si mal, si peur! »...

Que tu es si riche, de tes seins, de tes siens, de tes sens,

Toi qui veux m'arracher aux griffes du dieu fric,

Cette pitance traître, qui tresse dans mes cheveux

Parfumés à l'huile des femmes légères,

Des rêves barbouillés d'images dorés.

Que tu es patiente,

Toi qui attendra que s'éteigne ma soif de tout posséder

En m'arrosant de tes berceuses, et de tes caresses.

Que tu es lionne, Mère,

Toi qui t'apprête à câliner mon crâne poilu d'une savane blanche,

Dans laquelle courent des visions, des bêtes-ennemies,

Des soifs de longévité, des courtisanes agiles et des serviteurs-hyènes.

Que tu es sainte, que tu es forte, Mère,

Toi qui veut laver mon corps sentant des odeurs

Ni chrétiennes, ni musulmanes, ni bouddhistes, ni naturelles,

Des relents d'outre-lit;

Mon corps peint en rouge,

Mes victimes ayant l'habitude de pleurer dans leurs coeurs endoloris,

Des larmes mensuelles à l'honneur de ma brutalité...

Mère, oui, prends-moi dans ton dos.

Je me ferai petit, j'humerai avec humilité ta sueur divinement humaine et apaisante,

Je geindrai sur ton corps arqué d'amour et d'espoir,

Je lèverai mes yeux embués vers ton cou.

Et je t'étranglerai, en murmurant : « C'est toi qui m'a rendu ainsi, pour m'avoir mis au monde! »

mardi 11 octobre 2011

" Qui ", par Ketty Nivyabandi Bikura

Petit garçon
Sous tes airs de grand patron
Qui t’a fait si peur ?
Qui t’a fait si mal ?
Que pour te sentir homme
... Il te faille voir en tout être
Une proie,
Un marché…
Avoir dans tes yeux d’ogre
Une faim que nul banquier
Ne saurait rassasier
Et être possédé par cette envie urgente
De tout posséder

Petit garçon
Sous tes airs de grand président
Qui t’a fait si peur ?
Qui t’a fait si mal ?
Que pour avoir confiance en toi
Il te faille des prisons
Gorgées d’opposants
Des pirouettes à libre vent
Pour, en tout temps
Bruler l’encens de tes louanges
Et des portraits de toi
Dans toutes les huttes de la nation

Petit garçon
Sous tes airs de grand violeur
Qui t’a fait si peur ?
Qui t’a fait si mal ?
Que pour te sentir fort
Il te faille tant te haïr
Détruire avec toi
La vie de celle
Qui donne la vie
Mais rester perdu
Sur les quais de la démence
Ta petite queue toute trempée de sang
De mamans...

Petit garçon
Sous tes faux airs de grand
Enlève tes souliers boueux
Viens, poses ta tête fiévreuse
Sur mon sein
Pleures moi tes hontes
Raconte moi,
Qui a décroché la lune de tes yeux ?
Dis moi qui t’a menti
Que pour guérir tes bobos
Il fallait faire si mal à l’autre ?

Je te serrerais dans mes bras
Je chasserais les méchants
Je te dirais
Que tu n’es un bout de personne
Et qu’a toi seul
Tu es homme
Je te dirais que je t’aime
Avec tes carcasses de rêves
Et ton orgueil en miettes
Je te dirais qu’en toi se trouvent
Tous les trésors sous le soleil
Je boirai le sel de tes larmes
Je te bercerais dans la chaleur de mon dos
Et lorsque tu t’endormiras
Je te soufflerais à l’oreille
Que plus personne ne te fera peur
Que plus personne ne te fera mal.

K.N. 2011