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Café Littéraire. Espace ou naissent et se croisent toutes formes d'écrits: slams/poésie/contes/nouvelles/romans/théâtre. Tous les jeudis de 18h à 20h au CEBULAC (Burundi Palace, 1er étage), en plein centre de Bujumbura. Entrée libre et gratuite.

mardi 28 décembre 2010

Un jour de plus au paradis

par Tanguy Bitariho

Une délicieuse pluie chantonne sur la toiture en ce sombre lever de soleil. Six heures pile. Mon réveil m’appelle et demande à ce que je m’éveille. Je l’éteins instantanément indigné par l’incroyable manque d’égard de cet horrible appareil. Non mais ! Quel odieux manque d’égard que d’oser troubler la féérie de la quiétude de cette symphonie. Je me tourne sur le ventre dans l’espoir de m’enfoncer dans mon lit, de m’enfoncer dans mes pensées encore plus profondément. Néanmoins malgré le mauvais temps, quelques timides rayons de soleil commencent à poindre. Je sais que je dois me réveiller, mais mon corps s’y refuse. Je tente un ultime effort et en me tenant sur mon séant. Soudainement je comprends et retombe comme une masse sur l’oreiller. Ce que je prenais au départ pour de la paresse était en fait une véritable incapacité physique. Me lever me fit prendre conscience de l’incroyable lourdeur de ma tête. Une effroyable douleur me traverse le crâne. J’ai l’horrible sensation d’avoir comme un ruisseau plein d’acide qui prendrait source au flanc de ma narine droite, pour remonter vers mon œil droit, traversant de bas en haut, passant au travers de l’arcade sourcilière dudit côté et perforant de part en part ma boîte crânienne jusqu’à son extrémité supérieure, arrière, droite. La douleur semble pulser au rythme d’un battement cardiaque. La chambre entame à son tour une furieuse spirale destructrice. Je comprends à l’instant que je n’irais pas à l’école ce matin et je m’attends déjà à une remontrance maternelle.

Toc-toc-toc.

Tiens quand on parle du loup… .
Passé un certain temps maman fini par se demander pour quelle mauvaise raison je ne me serais toujours pas réveillé.
-Pascal est-ce que ça va ? Il est bientôt l’heure d’aller en cours. Tu risques d’être en retard si tu ne te réveilles pas.
-Non, ça va pas. J’ai une migraine épouvantable et la tête qui tourne. J’sais pas ce que j’ai.
Bien évidemment, en bon parent consciencieux d’emblée elle ne me croit pas. Elle s’approche alors, me touche le front, me regarde droit dans les yeux dans le genre « Attention ne me mens pas !» et se rend finalement compte que je dis peut-être bien la vérité, pour conclure sa suspicion par un :
-Heu… Tu as de la fièvre. Tu penses pouvoir aller à l’école ou pas ?
-Non, je crois pas. J’suis vraiment pas bien là.
-… Bon… tant pis… repose-toi dans ce cas. Dors un peu et prends le petit déjeuner plus tard dans ce cas. On verra plus tard pour l’école.
-Ouai, merci.

C’est merveilleux de voir combien cela peut être arrangeant une maman. Bien évidemment ce n’est pas toujours ainsi non plus. Il arrive également que la sentence maternelle se montre beaucoup moins conciliante, parfois même affligeante. Mère fait partie de ce genre de personnes qui ont « l’œil ». Cela relève presque du surnaturel. Elle est capable de vous détecter les moindres petits détails anodins, si insignifiants que l’on s’en étonne même de voir qu’il est des gens capables de s’en rendre compte. Un jour où je n’avais pas fait ma lessive, j’ai mis un caleçon sale pour aller à l’école. Arrivé au salon en pantalon et chemise, Dieu m’est témoin qu’elle le remarqua à travers mes vêtements. Dieu seul sait comment ! Elle m’a alors sermonné comme l’aurait fait tout parent qui se respecte et intimé l’ordre, une fois rentré, de faire pour première tâche ma lessive ipso facto. Tâche dont je dus, bien évidemment, m’exécuter par la suite.

Néanmoins, outre les mauvais souvenirs familiaux, en ce moment je profite de ce congé forcé pour me reposer et retourner me lover dans les bras de Morphée. C’est merveilleux. Je suis dans le vague. Ma tête m’est toujours aussi lourde et ne semble décidément pas vouloir perdre de son poids. Pourtant il y a une certaine beauté dans cette souffrance, cet état de convalescence, cette quiétude dormant dans la chambre. Hormis un fin clair rayon de soleil filtré par les nuages de l’averse matinale, une certaine pâleur submerge la clarté de l’atmosphère. Ploc, ploc, ploc, ploc, ploc,… Ces délicieuses onomatopées résonnent à mes tympans telle la plus symphonique des berceuses. Mozart et Beethoven auraient certainement eu une plus grande renommée s’ils avaient disposé d’un instrument de musique reproduisant le son d’une douce rosée matinale. Soudain le crachin se fait plus violent et se change en déluge assourdissant. Le rythme de la symphonie s’accélère. Un coup d’éclair, un lourd son de tuba et de tambour s’intercalent dans les rouages de la machine musicale. Bercé par ce merveilleux concerto, je finis par m’abandonner au sommeil pour de bon. Que c’est bon…
Hhhmmm…
Grrrrrr…

Cette fois-ci, les gargouillis de mon ventre font office de réveil. Faut dire que lorsqu’on a une migraine carabinée, rester à jeun n’arrange pas vraiment les choses. Néanmoins concernant mon mal de tête, je dois avouer que je m’en porte fortement mieux qu’auparavant. Encore un peu dans le vague et légèrement fiévreux, cela s’apparente toutefois plus à un léger vague à l’âme qu’à un malaise post-traumatique. J’en conclus donc que ça va quand même mieux.
Finalement, n’en pouvant vraiment plus, j’ai fini par me lever pour aller me manger un morceau. Personne à table…
- Pourquoi pas ! , me dis-je tout haut.

Merde ! 14h47 sur l’horloge du salon. Vu le temps que j’ai dû passer sur mon lit à glander, je dois certainement m’être réveillé aux alentours de midi-treize heures. C’est sûr que vu l’heure les parents sont déjà retournés bosser et mon petit sportif de frère est déjà parti faire son tennis adoré. Parfois je me demande si je n’aurais pas été adopté, tellement ma naturelle nonchalance contraste avec le reste de la famille.
Oh ! Un petit mot de maman laissé sur l’armoire du salon.

Pascal, il y a des biscuits dans l’armoire au cas où tu voudrais grignoter. Cependant mange d’abord quelque chose de consistant avant.
Maman

Comme c’est gentil ! Pascal… En y regardant de plus près les conditions de ma naissance expliquent clairement cette naturelle nonchalance. Si je suis aujourd’hui un lève-tard, c’est uniquement parce que je suis un né-tard. Certains naissent en semaine, à la rigueur le samedi, je suis de ceux qui ont préféré attendre le jour de repos pour naître. Je suis né à midi, lors d’un dimanche de Pâque, d’où mon prénom. Le choix de mes parents de me nommer ainsi ne fit que graver au fer rouge le dimanche dans l’entièreté de mon être. Par ailleurs cette heure, elle-même, fut plus que déterminante dans le devenir de mon comportement. Naître à midi est plus que probant sur le fait que je fus et suis encore un lève-tard de naissance. Ce n’est pas par caprice que je suis fainéant, c’est congénital. Le plus ironique c’est que mon prénom complet est Pascal-Dominique. PD en sigle, pédé au primaire… Dure période que celle-ci fut pour moi. Non content d’avoir la chance d’être affabulé d’un sobriquet à forte connotation homosexuelle, j’ai dans mon patrimoine nominal une incantation au dimanche et à un congé religieux. Il n’y aurait honnêtement rien d’étonnant là-dedans à ce que je finisse raté plus tard étant donné que j’ai, depuis ma naissance, été conditionné au repos et à l’oisiveté. Certes il y a également une connotation religieuse dans mon conditionnement mais il semblerait que cette partie là m’ait quelque peu échappée. Non ! A dire vrai, je respecte à la lettre l’acte même de notre divin créateur. N’est-il pas dit qu’après avoir travaillé toute la semaine le Seigneur se serait reposé ? Il ne s’agit là que de l’un des préceptes religieux que je tiens fermement à respecter. Il se peut qu’il m’arrive, effectivement, par moment, involontairement, de perdurer ce rituel dominical en semaine dominicale, mais ce n’est que par foi religieuse. J’ai lu quelque part que la conversation avec le divin résultait d’un état de profonde paix spirituelle. Certains l’atteignent en priant, d’autres en méditant, d’autres encore en éprouvant leurs capacités physiques ou en ingurgitant moult substances chimiques douteuses ; moi c’est en glandant. Attention point d’amalgame ; il est primordial de savoir qu’il existe une forte différence entre le fait de glander et celui de ne rien glander ! Cette thématique est bien plus qu’une simple question de sémantique. Il s’agit là de deux conceptions symétriquement opposées. Ne rien glander revient à ne rien faire, ne penser à rien. Or glander consiste à faire rien, à penser à rien. C’est en fait une question de positivisme. Lorsqu’on glande, on ne fait pas rien, on ne pense pas à rien ; on fait quelque chose, on fait ce rien, on pense à quelque chose, on pense à ce rien. Ce rien n’a rien de rien, ce rien est en fait tout, car il donne tout un sens à cette action inactive. En toute honnêteté, lorsqu’il m’arrive d’être là à faire rien, assis ou couché, à penser à rien, que ma tête se vide, que mon corps perd toute vitalité, devenant inerte tel un reptile se prélassant au soleil, il m’arrive fermement de penser être en communication avec un être supérieur. Par moment il m’arrive même de penser que la solution du millénaire mystère de la vie se trouve dans la glandouille. Ca peut paraître dingue dit comme ça, mais quand on est dans cet état d’esprit le tout devient limpide. Dans ces moments je prends pleinement conscience de l’absurdité de la vie. Camus avait vu juste. Le monde n’est qu’absurde. La répétitivité de la vie ne rime à rien. Se lever, partir bosser, bosser, bouffer, rebosser, rentrer, dormir, se lever le lendemain et ainsi de suite sans fin. Ainsi toute parcelle de féerie, de beauté, de surprise est totalement inexistante.
Dieu qu’il n’y a aucun sens à une telle vie !

Néanmoins l’absurdité suprême relève, je pense, de cette tentative même d’y trouver un sens.

-Hhhaaaa… Il fait si chaud !
Je sors dehors m’assoir au jardin afin de prendre un peu l’air. Un petit livre à la main de quoi se cultiver si la force y est. J’approche la petite table à mon fauteuil de quoi poser mon petit verre pour me réhydrater à l’occasion. Ma petite radio branchée sur la rallonge à côté de moi de quoi faire passer le temps au cas où l’ennui me prendrait. Chaque geste est fait avec une méticulosité religieuse. Un sacre silencieux, une hymne à la paix, le tout orchestré dans la plus grande piété. Je me pose enfin sur mon siège. Je m’imagine astronaute s’en allant bientôt pour l’infini de l’espace. C’est formidable d’écouter cet accord magique de silence et de bruit régnant dans la nature. Le silence de l’après-midi semble s’être pleinement emparé de l’atmosphère. Le vent lui-même semble se conformer à ce mutisme car seul un fin, sporadique et silencieux léger courant d’air se permet encore une espiègle promenade dans la nature. Pourtant au dehors de ce silence, une certaine activité s’entend malgré tout. Le bruit des passants à la rue et le brouhaha de leurs conversations filtrent au loin. De petits oiseaux chantonnent dans les arbres et les insectes en tout genre s’en donnent à cœur joie pour crier à tue-tête. Bien qu’il faille faire preuve d’une certaine acuité auditive pour les entendre, les murmures de la nature sont parfaitement audibles. Au fil de cette symphonie, la vilaine migraine qui avait refusé de s’en aller auparavant semble enfin s’estomper à son tour. L’air de rien je ne lui en veux pas tant que ce mal de crâne. S’il ne m’avait pas pourri ma matinée je n’aurais certainement pu profiter d’une telle sérénité.

Je ne tiens plus. C’est trop dur de penser. Alors je sombre lentement dans un sommeil forcé…
Papa. Le bougre vient de me réveiller à coup de klaxon. Il fait déjà sombre, j’ai dû dormir plus longtemps que prévu. Toujours au gazon, toujours, un bouquin sous la main, toujours la radio à côté. Un jour de plus au paradis. Le voilà qui sort de la voiture et s’approche vers moi.
-Alors le malade, comment s’est passée ta journée ?
-J’ai fait la paix avec le monde.
-Oh ! Vaste programme que tu viens là d’accomplir.
-Hmmm…
-Et comment fait-on ça ?
-Assieds-toi. Il suffit de s’asseoir et de faire rien.

jeudi 16 décembre 2010

Lettres de Colombie

par Roland Rugero

«L'histoire de la Colombie n'a pas été écrite avec la pointe du stylo, mais avec le bout d'une gomme.» Cette belle phrase du poète colombien Juan Manuel Roca aurait pu être la chute de cette chronique puisée devant un écran du CCF qui avait rassemblé les amis et membres du Samandari ce 2 décembre. La Colombie, marquée par deux cent ans de violence politique et sociale, de guérrillas puis de groupes paramilitaires, l'un des plus grands foyers de production de drogue et deuxième pour le nombre de ses réfugiés intérieurs au monde...
La Colombie, pays où le salsa est roi, puissance économique de l'Amérique du Sud, très marquée par la religion catholique, vivant au rythme des croisements entre cultures amérindienne, africaine et espagnole et depuis les années 1990 envahie par la culture américaine.

Pays des contradictions, où l'on croise côte à côte la Vierge et le portrait du Che. «Etre colombien est un accident administratif», selon l'écrivain Juan Gabriel Vásquez. C'est savoir vivre avec une colère jamais éteinte face à l'impuissance d'une jeunesse qui se consume dans les cartels de drogue, et ses barons, et ses bidonvilles. «Nous vivons un massacre permanent, physique et spirituel» n'hésite pas à lancer l'un de ces douze auteurs majeurs de la littérature contemporaine colombienne dans ce documentaire. Si c'est une question de survie pour les uns, ces auteurs continuent quant à eux à s'interroger sur la condition humaine. Certains proposent même de rêver.
D'ailleurs, «le but de l'écrivain est de poser des questions le plus intelligemment possible», rappelle Juan Gabriel Vásquez. C'est aussi tout simplement écrire, parler, car «le pire pour une société est d'être réduite au silence face à sa violence.» Et ça c'est une poète burundaise qui le dit.

samedi 11 décembre 2010

Cette graine

par Roland Rugero

Il est de ces hommes tout à la fois appréciés et décriés, honnis parfois. Il a le verbe facile, sait admirablement puiser dans les classiques de la littérature françcaise et s'en sert pour enflamer la blogosphère burundaise. Ce soir là, le Samandari lui a prête l'oreille, nous parlant de son deuxième roman L'autre face du clandestin. C'est un récit picaresque d'un jeune burundais qui a fui les massacres de l'université burundaise au plus fort de la crise de 1995- institution dans laquelle il mène des études littéraires, « le droit [qu'il voulait faire auparavant] étant réservé aux Tutsi » ; l'a-t-on averti.... Il part pour une vie estudiantine au Cameroun puis tente l'Europe, pour se fixer aux Pays-Bas.

Un récit qui ressemble étrangement à la vie de son auteur. Dans L'autre face du clandestin, « je m'interroge sur le regard de celui qui fixe un étranger» explique-t-il calmement. Et l'écrivain l'a vécu, ce regard, quand il rentre du Rwanda juste avant 1993. Parce qu'il ne parlait pas kirundi, il est conduit devant les tribunaux populaires de cette Kamenge rebelle du début de la Crise, « au quartier Gikizi où j'ai creusé ma propore tombe! » Quelques minutes avant que ses bourreaux ne l'y jettent, un chef le gracie, préférant donner à ce clandestin ancien séminariste la chance d'apprendre la langue nationale. Moment qui le marquera à jamais, comme la perte de sa mère, à laquelle elle dédie d'ailleurs son oeuvre.

Et c'est aussi un événement qui nourira le questionnement identitaire de cet auteur qui a préféré adopter « l'indentité humaine », comme L'Albinos (son quatrième roman). Car, entre la culture burundaise pronant l'intériorisation et celle du Cameroun où l'on se ne gêne pas pour étaler ses états d'âme, il a fallu choisir. Le choix fut aussi politique, que certains ne lui pardonnent pas. Le Cndd-Fdd : comment allier la liberté d'un artiste et les devoirs d'un militant? Notre homme parle de foi dans des principes, souligne aussi sa lucidité : «Pour un régime issu du maquis, on peut facilement faire peu de cas d'une vie humaine!» Etonnant, non, ce Daniel Kabuto (le petit grain, en kirundi) ?

mardi 23 novembre 2010

Nègre, Rwagasore, Slam

Roland Rugero

Ce jeudi 12 novembre, le Samandari s’ouvrait sur un poème de l'ivoirien Bernard Dadié, Tué le chef. La présentation faite par le slameur Ezéchiel voulait aussi rappeler le travail des 'autres', à coté des monuments Senghor, Césaire ou Achebe. Tous ont à leur manière évoqué le nègre. Un nom à nuancer, rappelle Charles Baranyanka, « qu'il faut saisir dans son évolution historique. Il y a d'abord eu le nègre bâtisseur d'empires tel celui du Congo ou du Ghana, ingénieux et inventeur. Puis le nègre animal, perçu par le colon et le missionnaire comme une espèce humaine à civiliser. Et enfin le nègre de la négritude, troisième et dernière étape qui sera une invention des penseurs africains en quête de leur identité.»

Dans le sillage de ces derniers, émergent les grands politiques des Indépendances. Dont Rwagasore, un Homme, Umugabo dans toute son acception en kirundi. Pour parler de lui et comprendre sa vision, il faut entre autre se plonger dans son discours prononcé le 25 Août 1960 devant la chambre de commerce du Rwanda-Urundi. Davy Rubangisha y décèle « un libéral qui comprend très tôt l'importance du secteur privée », ce qui, selon Jean-Marie Ngendahayo est assez différent d'un Lumumba, «moins ouvert à l'Occident.»

Et alors qu'Adams Sinarinzi nous peint poétiquement le Prince dans Le Fils du roi, nos slameurs du collectif Phoenix condensaient tout ceci dans une belle scène jouée sur un... bar! Cris de révolte contre les souffrances de l'Afrique, contre des prêtres qui vendent Dieu contre menus désirs de chair, contre ces mecs qui vous draguent en mentant avec l'Hymne « Tu es la seule, tu es l'unique » manifestement bien connu dans cette salle du CCF,... l'évantail de la colère semble large dans notre Afrique. Jusqu'à quand?

dimanche 14 novembre 2010

Le fils du roi

Par Sinarinzi Adam’s

Visionnaire, dit-on de lui
Fils du roi, il traçait le chemin
Vers les Lumières devait mener ce chemin
Lumières de vie, Lumières de liberté. L’indépendance était la voie.

Fils du Mwami, il avait osé,
Osé être Homme
Osé devenir Homme.

Comme disait un Père, il est difficile de devenir Homme
‘Toujours tendu vers le Bien, faisant le Bien
Tel est être Homme’, disait le Père
Mais tout deux moururent dans cet exercice.

Père de la nation, le fils du roi n’est plus
La cloche du deuil a sonnée sur les milles et une colline
Sur ces collines les lumières ne sont plus, le soleil a fuit, le rêve kidnappé.

Depuis, parler de lui semble parler d’un mythe
Avec peine et nostalgie on se rappelle de cet homme
Et oui, certes fils du roi mais c’était un homme
Fait d’envie, de peur et d’ambition, il était homme.

Des hommes il y en a eu et il y en aura toujours
Le rêve a toujours été et est toujours
Mais depuis ce 13 Octobre, le rêve ne se fait plus entendre
Brulant dans le cœur des hommes il n’ose plus se montrer.

Héritage de ce prince fils du roi, son rêve vit en nous
En chacun il grandit, en chacun il murit
En chacun il implore et parfois fait agir.

Alors certes visionnaire il l’était
Fils du roi, il l’était
Homme, il l’était encore plus
Et Homme nous le sommes tous.

Riche de son héritage
Faisons place à son cri qui est en nous
Faisons place à nos rêves devenus timides
Car seul par nos actes nous seront jugés.

mardi 9 novembre 2010

SAINT BOB MARLEY

par Daniel Kabuto

“L’enfer est pavé de bonnes intentions
Le ciel n’est pas à l’abri de ses inventions.”
Essayons à notre tour de démontrer dans l’humour
Une assertion par nature qui peinerait mon Seigneur!

L’histoire est ici fictive, je tiens d’emblée à avertir,
Presque au dos d’un auteur dont l’œuvre fait école:
Pour les rasta men qui l’adorent en prophète,
Et pour nous mélomanes, toujours à divertir;
Pardonnez mon audace et tolérez la boutade!

A la saint Robert, l’enfer dresse aussi l’oreiller,
Et le patronyme en fête verse sa céleste coupe,
Vers son damné de filleul et fumeur sous la coupe,
Et voilà l’âme du vin qui permet au talent de se réveiller!

Marley vous saisit sa gamelle et dispose du cendrier,
Sur ces outils en fer, il frappe ses deux baguettes,
En enfer comme en Italie, on s’habitue aux pâtes,
Et voilà que la mélodie plaît et chauffe le maudit terrier!

Tosh et Boney M sautent et réagissent en chœur,
D’autres voix s’élèvent, l’enfer les porte au pinacle,
Les damnés se dégourdissent et changent d’humeur,
Et Marley de lancer: “Could you be loved’ palace?”

L’ambiance fait rage et le paradis s’inquiète,
Intercède et descend voir la fête,
Irrésistible est l’euphorie, même pour cette Venus;
Et la délégation céleste d’adhérer sans plus !

“Il convient que ces artistes reçoivent l’éternel trophée” !
Ainsi s’adresse Notre Dame à cette maudite assemblée.
Et de ses grâces divines, elle offre aux élus des cierges,
Pour réapparaître sages devant le véritable saint Siège.

A la vitesse divine, ils atteignent la petite porte,
Saint Pierre tient la clé et accrédite chaque tête,
Hélas Marley n’est pas rasé mais travaille sa façon,
Pour présenter les fesses à l’huissier du fatal pont!

Suspens…

Les prenant pour deux têtes, petites et mal rasées,
Le vieillard de portier adjuge sans moindre regard,
Et l’acrobate Marley gagne l’Eden et ses alléchantes entrées,
Un sacré Rasta man dont les tresses font Dieu hagard!

samedi 6 novembre 2010

Au commencement était le verbe


un slam de Tanguy Bitariho
Au commencement était le verbe.
Le verbe s’étendit au vers, le vers devint phrase.
La phrase donna jour au texte et le texte enflamma, de ce fait, le cœur du poète.
Depuis ce jour, à travers sa verve, le poète copule avec le texte redonnant ainsi naissance au verbe.
Et de cette union naquit la magie des mots, la frénésie de l’écrit, la sensation d’être pris d’un prurit d’expression.
N’est-ce pas étrange d’être pris dans cette frénésie de l’écrit, retranché dans les tranchés de la locution, réinventant ainsi la locomotion à travers les mots ?
Prisonnier volontaire de cette envie de gratter le papier ;
Egratigné par la vie, refusant de se taire ;
Pansant nos plaies à l’encre de nos plumes ;
Parce que pensant ainsi guérir cette infortune.
Il n’est en rien question de quérir de la thune ;
Mais plutôt d’occire cette triste amertume.
Alors on cherche, on crée, on se récrée à l’écrit.
On se récrie, on écrit, on s’écrit, on décrit ;
Et pour cela on crie et on recrée, sur papier, ce qu’on avait, bon gré mal gré, refoulé, dans nos esprits.
On a supporté tout ça sans broncher, on l’a ressassé sans cesse dans nos pensées, recensé mille fois nos regrets ;
Mais maintenant s’en est assez !
Marre de tasser tout ça dans le passé ;
Comme si cela n’aurait jamais existé.
On en a pourtant tant bavé, on a aimé, pleuré, ri, haï ;
Et tout ce qu’on a décrit, maintenant, on l’écrit.
Alors on n’a peut-être pas tout vécu.
Nos écrits ne sont pas forcément tous du vécu.
On n’a certes pas tout vu, ni entendu ;
Mais tout ce que l’on dit en est il forcément faux ?
Force est de constater que non ;
Car lorsque l’expérience fait défaut, l’imagination n’a-t-elle pas ce qu’il faut ?
Mais peut-être exagère-je ? Peut-être ne sommes-nous pas tant à plaindre ?
Certes on gamberge, mais même si notre peine est loin d’être feinte ;
On aime cette vie, car elle est pleine de moments comme celui-ci ;
Où l’on partage ces émotions, nous rassurants qu’en fait, nous existons.
Car c’est grâce à vous qu’on existe ;
C’est grâce au public, que vie l’artiste.
Pour lui, on réfléchit, on gratte sans cesse, aggravant ainsi notre addiction.
Devenue maintenant tradition, même face au sommeil, on ne courbe pas l’échine, on reste en éveil, s’évertuant à graver, à l’encre de Chine, à la machine ou au phone-tel, nos rêves et aspirations.
Et c’est une fois pris par l’inspiration, que l’on découvre cette effervescente émulation, proche de l’explosion, ou le sang entrant en ébullition, nous fait perdre la raison, confondant ainsi réalité et fiction.
C’est durant l’un de ces moments, d’illusions verbales, où l’oral devient visuel, que les lettres me devinrent réelles.
Elles m’apparurent si belles, dorées tel le miel, irréelle parure d’or.
Sur mon corps, elles se couchèrent ;
Et là, drapé de cette belle fourrure littéraire ;
Les lettres me prièrent d’écouter et de me taire, puis me jurèrent que leur histoire allait me plaire.
Alors lentement elles me susurrèrent :
« Au commencement était le verbe.
Le verbe s’étendit au vers, le vers devint phrase.
La phrase donna jour au texte et le texte enflamma, de ce fait, le cœur du poète.
Depuis ce jour, à travers sa verve, le poète copule avec le texte redonnant ainsi naissance au verbe.
Et de cette union naquit la magie des mots, la frénésie de l’écrit, la sensation d’être pris d’un prurit d’expression.
Maintenant que tu as compris le concept de cette notion, va garçon ;
Va vers tes congénères, va voir tes sœurs et frères.
Partage leur ce que tu as sur le cœur et découvre ainsi le bonheur ».
Merci.

jeudi 4 novembre 2010

Le miroir

par Roland Rugero. Un texte revisité au Samandari de ce soir 4 novembre
0.
16 ans. L'âge des voyages douloureux a commencé. Quand il se lève le matin, et qu'il glisse son regard sur un miroir, il est surpris. Par ces boutons, par son visage qui s'épaissit, par ses lèvres qui prennent de l'ampleur, par sa voix quand il éternue, immobile dans la froide petite chambre de deux mètres sur trois qui abrite la douche, par le fait même qu'il se présente devant ce miroir... Il avance sa main, touche sa poitrine qui commence à se couvrir d'un poil plus sombre que ses avant-bras et ses tibias, descend, saisi tel un bout de ballon son nombril bombé, une magnifique petite colline jetée juste après son ventre avec des tablettes (il vaut veiller à cela!) et le reste, vaste savane dont les buissons ont lancé les racines plus en amont que le roseau...
Il lève les bras, hume ses aisselles, fronce le sourcil parce que cela sent la sueur (il fait chaud à Gitega, ces jours-ci), cligne d'yeux, pointe le doigt dans le miroir qui orne le côté gauche de ce réduit, trace le mot 'fuck' (c'est aussi un révolté, Pierre), cherche vainement de l'eau du robinet pour effacer les mots dessinés, baille de rage et de sommeil, tandis que sa tête reste prostrée : Pierre fixe son Roseau.

1.
Pierre. Tout à l'heure, il n'osera pas aller chercher de l'eau, parce que c'est loin, et qu'il n'a pas envie de faire ce trajet, et d'ailleurs ce trajet est fatiguant, d'autant plus qu'un bidon d'eau de vingt litres, c'est ééééénormmmmmme, puuu !!!! Autant de fausses raisons qu'il se donne, vainement, lâchement. Pierre est devenu un lâche. Il sent qu'il a perdu le courage de se battre, il sent que ses yeux n'ont plus la volonté de rester allumés une grande partie de la nuit, à attendre le chuintement de l'égout. Pierre a mal, d'être ce qu'il est, d'avoir ce qu'il a. Il en a marre ! Il baille, longuement, en tout cas assez pour voir sa glotte, là au fond du miroir; des larmes viennent aux yeux, il s'essuie, puis les larmes semblent encouragées, il pleure maintenant, des stries se dessinent sur ses joues, il ne les arrête pas, lâchement il incline la tête et ses yeux rencontrent son Roseau.

2.
Entre les larmes, des images défilent... Sa bouche grande ouverte, encore un petit garçon, les fesses en feu après avoir reçu une terrible raclée de sa mère ; ses bras misérablement croisés sur sa tête après que son père lui ait annoncé qu'il n'ira pas à Mushasha acheter des visconzi avec son grand-frère ; agenouillé les mains en l'air sur ordre maternel, la bouche tremblante de révolte, alors que sa sœur passe dans la petite porte latérale de la clôture de leur maison pour aller jouer avec les enfants des voisins ; et l'école, oh ! l'école !, la douloureuse classe, les camarades qui se pincent le nez dès qu'il apparaît ; un malaise constant quand la maîtresse se balade, narines en alerte, entre les travées de sa classe à la recherche d'élèves puant, oui !, puant, dit-elle ; et la canne qui s'abaisse sur sa nuque ; les regards moqueurs des autres ; la triste déchéance quand on se voit mis à l'écart, à deux rangées devant, non parce que l'on est un modèle, mais parce qu'il faut vous isoler, vous contenir, souligner votre saleté, votre puanteur, combien vous êtes dangereux pour le reste de la classe; Pierre traité comme un virus, Pierre le virus.

3.
Puis il y a la nuit. A partir de huit ans, à force d'être battu, hué, grondé ou enfermé dans la chambre, à force d'être assigné à rester à la maison, d'aller chercher de l'eau à la fontaine publique (alors qu'on peut très bien puiser l'eau juste dans la cour de leur domicile) et sous les ricanements des autres garçons, ; à force de subir les brûlures du fouet chaque matin durant les vacances (parce que sa mère n'avait pas de temps quand il y avait l'école, le malheureux risquant par ailleurs de subir le même sort pour son retard...) ; Pierre était devenu un veilleur de nuit. Combien de hiboux surpris à célébrer la nuit, juchés sur le bord de la toiture de la maison des voisins, de l'autre côté du muret blanc ? Combien de fois a-t-il surpris des bruits sourds de l'autre côté du mur, chambre parentale où des râles succèdent parfois à une casserole qui tombe par terre, ou une porte qui claque, des voix qui passent des heures dans une conversation indescriptible... Combien de fois s'est-il présenté à l'école le visage hagard, non de n'avoir pas dormi, mais d'avoir osé dormir !

4.
Car le sommeil est traitre : vers une heure du matin, alors que le jeune garçon avait tout tenté (ses oncles lui avaient même rapporté, des homes universitaires de Bujumbura, qu'il n'y a pas meilleur moyen de rester les yeux éveillés que de plonger ses pieds dans un seau, d'où la présence de ce bol à savon de lessive en poudre Omo, soigneusement rempli d'eau et glissé sous son lit en fer- du fer qui se rouille en passant...), préférant garder son seul slip pour que le froid de la nuit lui morde les mollets, tentant de se concentrer sur le scintillement des étoiles là-haut dans le ciel, parfois l'oreille rivée sur la radio en écoutant la RFI dont il ne comprend mot (sauf "Bonjourr, chers oditeux, il est minuit heure française" le reste est dit trop rapidement), accroché au chuintement des mots qui percent à travers le mince filet noir qui enveloppe l'enceintes de l'appareil ; vers une heure du matin donc, le guerrier perdait toujours la bataille. Pierre s'endormait. Et le roseau retrouvait l'eau, l'eau qui montait du corps, montait, empruntait le roseau ,vers le lit... Vers 6h du matin, Pierre se réveillait dans l'écœurante odeur de son urine, les draps mouillés, quelques gouttes par terre, ayant percé le maigre matelas qui lui était réservé depuis de longues années... Pierre pleurait, comme maintenant.

5.
Il savait qu'il devrait laver ses habits et les draps avant d'aller à l'école, avec la bénédiction d'une gifle attrapée au passage de sa mère (son père ne voulant pas trop se mêler de ces histoires de pisse, avait-t-il avoué une fois alors que son épouse implorait son intervention pour régler une fois pour toute cette histoire de vessie rebelle), et à l'occasion un énième pincement de cœur en voyant comment son petit-frère gambadait le matin, impatient d'aller à l'école, et sa grande sœur droite dans son uniforme kaki; puis parfois le regard triste de son père quand il surgissait de la porte donnant sur la cour arrière de sa maison, trouvant son troisième enfant plongé dans des seaux savonneux, de maigres bras tremblant de froid et de honte s'affairant à réparer le énième affront fait à la nuit... Le silence de son père lui faisait mal, très mal, alors que la colère de sa mère avait peu à peu laissé place à sa seule souffrance physique. Quand sa mère criait, il pleurait qu'elle ne tienne pas en compte ses efforts. Quand son père le regardait, il pleurait de se savoir tenu en pitié. Et il mourrait de rage de lui prouver qu'il était homme!

6.

7.
Puis, par une semaine de l'an 1992, alors qu'il avait treize ans, pendant les sept jours que le Dieu d'Abraham et d'Isaac a créé, Pierre dormit et se réveilla sec et sauf! Oh! Miracle! Grâce! Victoire! Le septième jour, qui était un Dimanche, sa mère l'emmena au restaurant nommé Cercle manger un quart de poulet. Avant de manger, Pierre pria...

8.
Et cela fait la cinquième fois depuis le début de ce mois d'octobre que Pierre mouille ses draps. A 16 ans. Il essuie ses larmes. Puis se regarde une nouvelle fois dans le miroir. Que se passe-t-il? Des larmes reviennent.

dimanche 31 octobre 2010

Le roulement des rumeurs

par Roland Rugero

On le disait endormi dans un sombre et froid réduit du Musée de Tervuren, en Belgique, trophée d'un colon heureux de ramener quelque ustensile exotique du Burundi. A moins qu'il ne soit là par ordre d'en haut, importé vers l'ancienne métropole dans cette vaste entreprise de 'dénudement culturel' inhérente à toute colonisation...
Les uns affirmaient qu'il se trouve dans une natte fourrée dans la grange d'un appartement sis à Bruxelles. Non, à Berlin, nuance les autres.
Il y a ceux qui prétendaient que les Belges, sur le point de partir et ravagés de voir le pays du lait et du miel accéder à l'Indépendance, ont préféré brûler l'étrange et vénéré objet. Puis d'autres affirmaient, sur fond d'intenses intrigues ethniques (ou entre castes, on ne sait trop); qu'il aurait été volé par tel de telle ethnie, dans une tentative abjecte de s'accaparer des secrets de la royauté du multi-séculaire Burundi bwa Nyaburunga.
Il y avait enfin, ceux qui, faute de rumeurs, des ouïes-dires ou simplement en manque d'imagination, ont préféré se taire.
Et voilà que d'un coup, Charles Baranyanka, que nous saluions dans la précédente chronique; Sogokuru donc (Grand-père) nous annonçait, timide sourire en coin, que Karyenda, le Tambour Sacré qui symbolise le Royaume du Burundi, est toujours vivant. Le terrible Karyenda (de forme phallique, prétend-on toujours) ne serait donc pas un mythe. On attend la prochaine livraison, pour savoir sa date d'exhumation... Mais quels bruits il fait, quand bien même il s'est tu!

mardi 26 octobre 2010

Michel Kayoya et le développement


"Mais…. Et c’est notre sujet de la causerie de ce soir, le peuple ne suit pas ! Nous qui travaillons à la base, près du peuple, nous sentons une résistance, une lenteur décourageante. On a beau se sacrifier pour l’amélioration de l’habitat, pour l’assainissement des eaux, après quelque temps les sources sont inutilisables et la lutte reste toujours l’habitat commun de la grande masse des Barundi. Il n’y a pas un grand mouvement, pas une réponse enthousiaste dans le combat livré contre la faim, contre la malpropreté et la maladie. Et on se demande : Pourquoi cette inertie, pourquoi cette lenteur, pourquoi cette passivité ?...

J’appelle l’homme d’avant 1885, ce murundi, même aujourd’hui, qui n’a presque pas subi l’influence occidentale. Il est donc à considérer comme dans le temps matériel d’avant 1885 et dans une situation de ‘non rencontre’ avec l’Occident. Et il y en a plus qu’on ne pense de ces hommes dont la philosophie profonde est restée intacte.

1. Nous devons noter que cet homme-là est dans la situation de ceux qui s’efforcent de s’adapter à la nature. Non la nature positivement connue et acceptée comme telle, mais la nature avec ses forces aveugles et mystérieuses. Il ne peut y avoir de développement consenti et assumé par le peuple, si un peuple n’a pas une connaissance positive de la nature comprise comme telle et acceptée profondément.
Pour progresser en effet, cet homme d’avant 1885 doit accepter d’être convaincu que la pluie est pluie et rien d’autre, que l’arbre est arbre et rien d‘autre, que la verminose est verminose et rien d’autre, que dans la nature il y a un système de causalités secondes provenant uniquement de la nature, des qualités, de la constitution de chaque chose.

2. Cet homme d’avant 1885, par la force des choses, vit dans un monde hiérarchisé. N’oublions pas qu’il est un agriculteur éleveur et, dans une civilisation agraire pré technique, l’homme adopte la nature. Bien sûr, puisqu’il est intelligent, il inventa des outils, se protège des intempéries, mais en grande partie il doit se soumettre à la nature et à ses lois : il doit se soumettre à la loi des saisons, il doit attendre que son maïs pousse. Il y a des catastrophes qu’il ne peut expliquer, la foudre, la mort subite en cas de thrombose ou méningite. Tout cela crée en lui un fond de soumission, de passivité, de patience et un souci d’éprouver toute chose nouvelle pour en mesurer la force. C’est ainsi que devant la technique, au lieu de l’imiter, il en devient un admirateur béat, un exécutant inconscient. Devant de nouvelles méthodes de culture et d’élevage, il sera calme et docile à suivre les indications et gestes du moniteur aussi longtemps que celui-ci reste présent… mais laissé à lui-même, libre, il laissera avec mépris les techniques apprises hier avec soin (3). Monde hiérarchisé où chaque chose garde son rang. Pour l’homme d’avant 1885, la nature est unie, elle n’est pas seulement constituée par le visible, il y a en elle des forces aveugles, invisibles ; tout n’est pas palpable, mesurable, pesable, c’est pourquoi cet homme vit dans un monde d’intermédiaires :
- pour que le médicament soit efficace, on devra l’influencer par l’intermédiaire d’un geste ou d’une parole : umuhamuro,
- pour qu’un poison soit efficace, on devra non seulement le doser mais lui insuffler une force suivant le degré de forces de l’homme à abattre,
- pour qu’un enclos soit efficacement protégé, il ne faudra pas seulement une haie, fut-ce en fil de fer barbelé, il faudra surtout le « giheko » protecteur des rugo et des champs,
- pour éviter les dangers de la vie en société ou maintenir son influence, il faudra se munir contre tout … (de la hiérarchie).

Au plan de la vie sociale, cette conscience devient vite une conscience féodalisée, une conscience sans la hantise de soumettre, mais au contraire avec le souci de ménager en tout la chèvre et le chou, une conscience sentant avec acuité le besoin de s’assurer des intermédiaires, des intermédiaires-objets ou des intermédiaires-personnes. D’où l’importance pour un tel homme, non de l’efficacité et progrès, mais des faveurs, pour une bonne vie assurée. Cela devient en définitive une conscience de « gusaba » (demander une faveur). Et ce « gusaba » s’oppose à la production personnelle, à l’élévation par ses propres moyens, à la préoccupation de dominer soi-même la nature environnante. Finalement la fierté humaine consistera dans le « guhabwa », le « recevoir » … Yampaye inka, yampaye isuka… Il m’a donné une vache, une houe… Et la grande part des relations se base autour de ce guhabwa. On donne quelques-unes des vaches qu’on a reçues, on administre des médicaments qu’on a reçus. On accepte la maladie qu’on a reçue. On vit avec la femme qu’on a reçue. On fabrique la bière selon la méthode qu’on a reçue. Cette mentalité autour du guhabwa devient comme une coutume qui régira un peuple pendant des siècles. Dans cette mentalité on ne peut inventer, innover, renouveler. On est bien quand on est comme tout le monde !

Voilà pourquoi dans une telle mentalité, l’homme (vit-mugabo) ne prenait pas part au travail tel que nous le concevons aujourd’hui, les activités de production, d’amélioration de niveau de vie étaient laissées à la femme, aux enfants. L’homme, lui, l’être principal s’occupait de ce qui était conçu comme le plus important : gusaba inkagusaba itongo gucishaguca imanza… gushengera… gucurisha isuka… gutera intambara… régler une palabre… faire la cour à un grand… se faire forger une houe … aller à la bataille…

3. A côté de ces deux grands facteurs qui ont causé la stagnation de tout un peuple « d’avant 1885 », manque de connaissance positive et conscience féodalisée, il y a tout un complexe de mentalité d’injustice qui ne pouvait permettre le goût du progrès. Comment en effet, peut-on avoir l’envie de produire plus, de s’enrichir, de sortir de l’ordinaire, dans une mentalité comme celle-ci :
- Ntawutunga ativye… celui qui ne vole pas ne pourrait devenir riche ;
- Imbugitan’uwuyifashe ikirindi… c’est la lame du couteau qui rend sa force au manche ;
- Umugabo n’urya utwiwe n’utw’uwundi… un vrai homme mange ce qui est à lui et ce qui est aux autres ;
- Igisuma n’igifashwe … un voleur est celui qui se fait attraper. Le fait de ‘kunyaga (reprendre de force un don) ou celui des bandes de voleurs de vaches ou de dévastation ont constitué un frein au développement social.
... "

dimanche 17 octobre 2010

Afrique, quel heritage aux generations a venir?

par Beni Nkomerwa


SIDA, Coups d’Etat, misère, malaria, sécheresse, guerres, corruption, néo-colonialisme, dictature, sous développement …Voilà l’héritage ! Je viens de commencer mon article par sa conclusion. Introduisons à présent ! Bientôt les Etats africains célébreront les jubilés d’or de leurs indépendances respectives.5O années d’histoire perdues ,5O années de recul ,5O années noires .Si Sarkozy le dit, on a envie de lui arracher ce qui lui sert de nez. Les jeunes d’aujourd‘hui sont l’espoir, de demain, le refrain est connu. Mais une question se pose : où sont passé les jeunes d’hier ? Tu en fais peut-être partie, toi qui lis ces lignes .Moi, je fais partie de la génération 7O-9O, j’ai lu des livres d’histoire sur les indépendances africaines mais toi, tu as vécu ces événements .Lorsque le CONGO, aujourd’hui RDC était au même niveau économique que le CANADA et loin devant la COREE du Sud et l’AFRIQUE du Sud, tu étais jeune sans doute. Tu connais l’héritage que tu as laissé à ma génération .Tu as 5O ans aujourd’hui, tu places ton espoir en moi .Quand tu avais mon âge, ton père comptait sur toi .Qu’as-tu fait ? Imagines que tous les jeunes africains de ton époque, toi y compris, aient lutté chacun dans son village et avec ses propres armes comme Mandela, Lumumba, Sankara, Rwagasore, Selassié, Nyerere,….Imagine la vieillesse heureuse que tu aurais eue aujourd’hui.

Regarde toi en face, tu sais quoi ? tu as trahi, tu as vendu or , diamant et cuivre ; richesses de ton pays .Tu as comploté contre Mandela, Lumumba, Sankara et les autres tu as pris le pouvoir ;tu as pulvérisé l’économie ,tu as emprisonné l’avenir de tes fils que nous sommes aujourd’hui .Et tu oses compter sur nous pour nettoyer tout cela.

Ne te mets pas à l’écart en te disant « moi je n’ai jamais été au pouvoir, je n’y suis pour rien si l’AFRIQUE n’est nulle part ». C’est justement là que tu as tort. PARCE QUE TU N’AS RIEN FAIT.

Jeune africain d’aujourd’hui, ton père a péché .Que fais –tu ? Des études en économie ?en droit ?en médecine ? Cela suffit-il ? Tu es comptable, ingénieur, professeur, artiste, commerçant, politicien, scientifique, cultivateur, journaliste , militaire, homme d’affaire, sportif,… tout cela est bon mais ton père l’était aussi .

Endettement:
Les États africains consacrent en moyenne 14 $ par personne par année auservice de la dette, contre seulement 5 $ aux soins de santé.Entre 1970 et 2002, les pays africains les plus pauvres ont reçu 294 milliards de dollars en prêts et remboursé 298 milliards de dollars en intérêt et principal, maisils devaient encore plus de 200 milliards de dollars. La Zambie consacre deux fois plus d’argent au remboursement de sa dette qu’à l’éducation.En Tanzanie, la remise de dette a permis au gouvernement d’abolir les frais descolarité pour l’école élémentaire, ce qui a fait augmenter les inscriptions de66 pour 100.

Commerce:
Les Nations unies estiment que les règles de commerce inéquitables, en soi,privent les pays pauvres de 700 milliards de dollars chaque année (soit2 milliards de dollars par jour).Les États-Unis subventionnent leurs producteurs de coton jusqu’à environ§3,5 milliards de dollars par année. Les entreprises états-uniennes vendent leurcoton sur le marché international à presque 50 p. 100 du prix de revient, ce quiexerce une pression sur les cours mondiaux et cause de graves problèmes,surtout pour les 10 millions de producteurs de coton de l’Afrique occidentale.En raison du dumping, le prix réel du maïs mexicain a chuté de plus de 70 p. 100.entre 1994 et 2003, ce qui s’est traduit par une réduction des revenus et par l’accroissement de la misère pour les 15 millions de Mexicains qui dépendent de cette culture.

Voilà le défis.
Nous dénonçons le pillage des cerveaux africains par l’occident, le pillage des richesses et ressources naturelles de l’AFRIQUE, l’ingérence des puissances étrangères dans les politiques africaines ainsi que leur hypocrisie.
Nous ne condamnons pas uniquement les étrangers, nous condamnons plus fermement nos propres frères africains traitres ou inconscients, dirigeants et population .
Nous invitons particulièrement la femme africaine à quitter les coulisses, à se mettre au travail. Elle est déjà la seule qui travaille dans son village parce que l’homme passe sa journée à s’enivrer de bière locale et à jouer aux dames à la maison pendant que la femme cultive les champs , son bébé sur le dos. C’est à elle de tout faire pour la famille, pour le village.
La femme « civilisée », elle, passe sa journée à la maison, à se maquiller et à regarder la télé pendant qu’un domestique fait tout à sa place. Son diplôme, elle le garde dans sa valise parce que « le salaire de son mari lui suffit » Somme toute, si elle le sortait, le vernis de ses jolis ongles en souffrirait.

L’heure de la révolution africaine a sonné ! Nous nous en apercevons même en retard. Une révolution économique à la chinoise, où tous les pays africains, tous dans leur individualités, mettraient en place une politique commune de profonde réforme économique, où tous les gouvernements africains s’investiraient à fond .Le projet des Etats unis d’AFRIQUE cher au Président Kadhafi devrait commencer par là. Une politique économique globalisante est plus facilement envisageable que l’idée d’un gouvernement politique unique pour toute l’AFRIQUE. Nous pouvons partir des unions économiques, régionales,… existantes déjà : CEDEAO, EAC, SADEC…..
Des projets d’unification de la monnaie, des taxes et des tarifs internes, des importations et exportations, des financements, d’infrastructure et investissement à court et à long terme d’agriculture,…sont en étude au niveau de ces unions régionales. Si ces projets réussissent au niveau régional et si l’EUROPE a réussi, pourquoi pas l’AFRIQUE ?

Certes vues les dimensions du continent et les potentiels obstacles à la réalisation d’un tel projet ( les divergences politiques des dirigeants essentiellement), l’on a tendance à qualifier le projet d’irréalisable. Mais gardez ceci à l’esprit africaines et africains, le peuple africain est composé de plusieurs peuples qui ont constitué des puissants royaumes et empires il n’ ya pas longtemps. Les actuelles frontières entre nos pays, nous ne les avons jamais tracés. Mais pourtant, les congolais de la RDC ont réussi à élever une nation avec et au-delà des 45O tribus qui la forment aujourd’hui . Des tribus se sont retrouvés partagées de part et d’autre d’une frontière tracée sur une carte à des centaines de milliers de Km de là. Supprimer ces frontières nous ramèneraient à 3 siècles dans l’histoire ; mais les enjamber nous projetterait dans un avenir meilleur pour les deux peuples de part et d’autre de la frontière.

S’il s’agit de former un royaume africain aujourd’hui au 21 ème siècle, alors Kadhafi a tort .Mais il a raison s’il pense que les peuples africains n’ont aucun intérêt dans les divergences politiques inutiles entre dirigeants africains, que ce soit entre compatriotes (le cas du Madagascar) ou entre ETATS (le cas RDC-RWANDA).

Le peuple se moque éperdument des intérêts personnels et égoïste de certains dirigeants et exigent que ceux-ci servent plutôt l’intérêt national. A qui profitent l’entêtement et la politique de Robert MUGABE ? Aux zimbabwéens qui vivent aujourd’hui avec moins d’un dollar par jour pendant que le vieux Président dépense des millions de dollars américains pour ses anniversaires ? (dollars américains parce qu’en dollars zimbabwéens on ne saurait plus compter ).

A qui profite l’absence de l’AFRIQUE dans le conseil de sécurité des Nations Unies ? Au Président OBAMA ? A qui profitent les contrats Chine –AFRIQUE ? Pourquoi la France pleure t-elle BONGO plus que le Gabon lui-même ? Pourquoi Kadhafi fait-il peur au monde ? Pourquoi les « 5 chantiers du Président Kabila »n’ont –ils jamais démarrés à 2 ans de la fin de son mandat ? Pourquoi la Banque mondiale empoisonne t-elle l’économie africaine ? Pourquoi personne ne parle de tout cela ? Pourquoi personne n’écoute Mandela ? Pourquoi la France s’acharne t-elle contre le Président Kagame ? Qui connait la réponse à cette question ? Les seuls concernés peut-être .Nous, nous n’avons pas envie de savoir. Le peuple rwandais vit la réforme de K agame et cela lui suffit. Traitez son Président de dictateur, de tout ce que vous voulez, nous ne vous écoutons pas .Nous voyons comment Kigali se transforme chaque jour qui passe, nous sommes occupés à aider notre Président à réaliser ses objectifs de développement d’ici 2020.

Si ce que vous qualifiez de dictature rime avec ce que nous qualifions de développement ici en AFRIQUE, alors allez parler votre français et vous votre anglais ailleurs.

Omar el BECHIR n’est pas le meilleur Président d’AFRIQUE, mais tant que Georges W. BUSH et Tony BLAIR ne seront pas poursuivis pour les atrocités commises par leurs armées en Irak, le peuple soudanais ne verra aucune raison de livrer son Président à Luis Moreno OCAMPO.

La cour pénale internationale est partisane .Elle a été créée pour « les petits indisciplinés » qui gênent les « grands » .Nous ne savons si l’ONU qui l’a crée en est moins. Juste pour les cas auxquels la CIA ne veut pas se mêler personnellement .Imaginez ce qu’ils feraient d’un Président africain qui créerait une prison comme Guantanamo.

J’invite toute la jeunesse africaine à prendre conscience de l’enjeu du défi de sa situation actuelle.

J’ai écris cet article en un français facile pour celui qui le lit comprenne. Je t’invite à laisser ton commentaire, à dire à tout le monde ce que tu penses de ton continent, de ton pays.

Parce qu’en parler, ça commence par là !

jeudi 14 octobre 2010

Le silence de Karyenda


[Karyenda: Tambour mystique et sacré du Burundi, qui avait son propre palais et son epouse (mukakaryenda) et dont le secret demeurait jalousement gardé par une famille precise, de génération en génération. Seul le mwami (roi) avait le droit de le voir et s'incliner devant lui.
Il represent(e)ait l'ame du Burundi car sans Karyenda, il ne pouvait y avoir de Burundi.]


Par Ketty Nivyabandi
C’est un son,
Plus ancien que les rives du Tanganyika
Plus puissant que ses volcans voisinant en sursaut
Plus pur que le chant des jeunes filles en quête
D’eau claire dans les ruisseaux de Mbuye.

C’est un son singulier qui réveille l’universel en soi,
L’inexprimable et l’inachevé à la fois.

Un son qui fait traverser
Les frontières de l’éternité à l’interpellé…
Ceux qui ont fait du silence du cœur leur allié
Vibrent avec sa cadence insondable.

Rythme mystique,
Envoûtant et tenace,
Aux échos royaux
Et humains aussi…

C’est une force inégalée qui gronde,
Qui gronde
Du haut de Banga,
La vieille montagne aux secrets.

Verbe sculpté
Que vierges huilent
Au beurre parfumé
Avec ferveur et piété…

Danse cryptique
Enigme des énigmes
Voix des devins
Ame d’une illustre contrée

Souffle d’un peuple aujourd’hui essoufflé…

Ne te tait pas Karyenda
Ecoute l’effroi que ton silence
Jette dans nos cœurs

Silence qui gène,
Silence qui grince,
Silence qui gratte,
Silence qui rend fou !

Silence d’un peuple déraciné,
Brutalement sevré de sa sève…


Gronde Karyenda,
Gronde,
Encore et toujours
Pour que l’insensé retrouve son sens
Que les mystères reprennent leurs parures sacrées

Et que nos cœurs trouvent enfin la paix.

dimanche 10 octobre 2010

Le danger d'une histoire unique

par Roland Rugero

L'œil rivé sur le mur blanc où est projeté l'intervention de Chimamanda Ngozi Adichie, auteure de L'autre moitié du soleil (Orange Prize), on écoute l'écrivaine nigériane raconter ses souvenirs d'enfants. Dans un amphithéâtre américain, elle se rappelle comment petite, sa mère lui avait décrit le village d'un de leurs domestiques, rempli de misère et où la faim étreint les plus solides... Qu'elle ne fut sa surprise, lorsqu'elle s'y rendit un jour, découvrant que ces misérables fabriquaient de magnifiques vanneries, eux qui devraient être tenus à tenter de 'survivre'! Longtemps, elle avait vécu avec une seule histoire de cette famille.
Ainsi, ses premiers personnages dans les récits qu'écrira Chimamanda sont des héros aux yeux bleus et parlant du 'beau soleil'. Inconsciente, elle ne fait que reproduire des mondes tirés de ce qu'elle a lu jusque là, des auteurs anglais principalement. Ces univers façonnent en elle un univers romanesque uniforme: il faudra attendre Chinua Achebe ou Camara Laye pour découvrir des romans aux personnages noirs!
Étudiante aux États-Unis, Chimamanda s'entend signifier un soir, de la bouche d'un de ses camarades, « le choc devant les hommes nigérians, des violeurs comme le père du personnage d'un de tes romans!»... La nigériane, du tac au tac, lui rétorque qu'elle est encore plus choquée car elle vient de découvrir dans le film American Psycho, que « les jeunes américains sont de si grands tueurs en série». L'histoire unique de massacres ou de meurtres, renvoyée de part en part par des lectures faites dans un seul sens: les préjugés ne pourraient que fuser.

Ainsi, il apparaît urgent pour Chimamanda, de tirer ce 'pays Afrique' (comme l'appelle certains touristes) du gouffre caricatural dans lequel il a été plongé par des auteurs et journalistes de tous poils. Se nourrissant de reportages chocs et live de grandes marques médiatiques de l'Occident, il est désormais établi pour certains que l'Afrique est terre de toutes les misères, verte et désordonnée, aride et d'une sauvagerie attendrissante, sol où n'y pousse du bien que sous forme de fruits et de femmes...
Oui, tout cela existe, et même pire: mais les histoires ne s'arrêtent pas là! Il y a aussi des projets qui réussissent, des rêves qui s'accomplissent, des humains qui meurent de vieillesse.

Dans le Samandari, on a discuté de ce pouvoir des médias. Du pouvoir d'imposer une Histoire. Avec raison, l'écrivaine nigériane soulignait qu'elle connait les États-Unis parce qu'elle a lu plusieurs versions qui racontent ce pays, plusieurs histoires qui créent Une histoire faite d'échos. Ce qui manque à l'Afrique.
Puisant dans sa langue maternelle, Chimamanda renvoie ce pouvoir au mot igbo nkali, qui veut dire 'être plus grand que l'autre'. «Tout dépend du pouvoir que l'on a sur autrui. Avec ce pouvoir, vous ne racontez plus qui est quelqu'un: vous établissez définitivement qui il est», complète-elle...
Pour faire bref, il faudrait donc que le Samandari ne soit pas un lieu d'une histoire unique de révoltes, mais un espace ouvert à toutes les petites histoires, drôles, sanglantes, puantes, rieuses, noires, roses. Car qui ne sait que l'Histoire est faite d'histoires?

lundi 4 octobre 2010

Ecrire, ou attendre l'histoire?

par Roland Rugero

Intéressante discussion dans le Samandari de ce 16 septembre. Tout aurait pu partir de ce rappel de Philippe Meloni sur http://afrochild.wordpress.com/: «Un homme ans passé est plus pauvre qu’un homme sans avenir.» Connaître son histoire permet, à l'historien et à l'écrivain plus particulièrement, à un peuple plus généralement, de 'voir' à travers le temps, d'envisager plus intelligemment son avenir. Mais dans un Burundi où «l'on assiste à des manipulations de données » dixit Melchior Mukuri, il est difficile de savoir 'ce qui s'est passé'. Si difficile que les politiques ont même décidé que les Burundais devraient réécrire leur histoire. Soulignons d'ailleurs que nos élèves étudient le passé du Burundi jusqu'en 1962, le 1 juillet plus précisément. Après ? Cela se complique...
D'autant plus que le Burundi a hérité d'une culture orale, «qui exige plus d'énergie pour passer à l'écrit » pointe Florance Bouckaert, peintre et professeure.

Dans le Samandari, deux opinions se sont rencontrées. Pour les uns, écrire, se réapproprier son passé et la culture de sa société à travers les temps par l'écrit devrait se faire après ces retrouvailles avec son histoire. Parce que là, on saura qui est le « je » en possession de la feuille, le « tu » auquel l'écrit s'adresse... Pour les autres, face à notre culture burundaise « si riche et si difficile à posséder », selon Jean Marie Ngendahayo, il n'y a pas de minutes à perdre. Sans complexes ni prétention, mais avec prudence, il faut que les Burundais écrivent. Car, affirme l'ancien politique, « pour être nous-mêmes, nous ne devons pas refaire le monde!» Ézéchiel, slameur, n'en démord pourtant pas : «Nous ne pouvons pas écrire sur nous-mêmes si nous n'avons pas fait la part du mal de la colonisation!»

Mais, voilà : « On peut certes expliquer les douleurs de l'Afrique, du Burundi, en évoquant le colon. Mais l'on ne peut pas tout expliquer en se tenant exclusivement à lui », rappelait en 2009, à Bujumbura, un éminent jésuite. Et c'est particulièrement vrai lorsque l'on pense à l'histoire du Burundi à la lumière de Zamu, ce poème écrit 1978 par Jean Marie Ngendahayo, alors étudiant. Qui es-tu, toi, pour être proscrit ? Serais-tu de ces chiens que j´entends aboyer/ Du fond de mon lit moelleux ? Pauvre Zamu, bercé par les piqûres de moustiques et les faux chants de l'unité...

lundi 20 septembre 2010

Zamu

Jean -Marie Ngendahayo, Université du Burundi, 1978

Zamu! Du plus profond de mon sommeil,
Je viens en somnambule me confesser.
Du fond de ténèbres éblouissantes de la nuit,
Ma conscience vient te parler.

Frère! Comment se fait-il que tu sois là dehors?
N´as-tu pas froid accroupi ainsi?
N´as-tu pas, toi aussi, un lit et une femme,
Pour t´accueillir dans les délices de la nuit?

Pour qui veilles-tu?
Ne dis pas que c´est pour moi, j´aurais honte.
Ne dis pas que durant mes nuits de débauche,
Tu es dehors pour, paraît-il , préserver ma vertu!

Zamu, qui es-tu pour être ainsi?
Moi, je sais que je suis un homme et que j´ai besoin,
De repos et de plaisir...
Qui es-tu, toi, pour être proscrit?
Serais-tu de ces chiens que j´entends aboyer
Du fond de mon lit moelleux?
Ou alors, es-tu vraiment un objet de luxe
Pour toute maison dite "respectable"?

Qui suis-je pour te regarder au-dehors?
Qu´ai-je fait pour que tu veilles ma demeure?
Peut-être ai-je fait du mal à quelqu´un ...?
Pourquoi me protèges-tu?

Zamu, dis-moi pourquoi!
Je t´en prie, délivres- moi, je n´en peux plus!
Contes- moi mes crimes que je me repente.
Que je sois Zamu aussi pour d´autres criminels

Réponse:
C´est vrai, tu es un criminel!
Tu as tué mon humanité.
Tu m´a nié aux yeux de tous
Tu m´as mis au rang des bêtes!
Non content de ma présence,
Tu possède des chiens mieux soignés que moi.
Eux , au moins , ont droit à tes caresses...
Ils entrent même dans ta maison bardée de fer.

Mon destin se mêle à l´absurde.
Je veille un maître et un ennemi,
Contre un frère et un affamé.
Mon destin se mêle à l´absurde...

Réveillé :
Qui a parlé? Que se passe-t-il?
Mon Dieu , Quel cauchemar...
Comment de tels rêves peuvent pénétrer Mon esprit?...

jeudi 16 septembre 2010

Le plaisir d'écouter

par Roland Rugero

Fendre l'air chaud d'un été finissant pour aller s'asseoir quelque part. Ouvrir grand les oreilles. Écouter une dame, 57ans bien sonnées, qui vous raconte comment, rongée par le désir de voyager, elle a quitté sa Flandre natale pour le monde arabe, le Liban surtout. Monde trop polarisé: elle le quitte pour se tourner vers l'Afrique, qu'elle découvre à travers le Zaïre d’il y a 25 ans, en descendant d'Anvers jusqu'à Matadi en bateau, comme son grand-père missionnaire. Elle voulait le comprendre. Elle accouche Mon oncle du Congo (1990).

Dans cet empire prisé par les plus grandes puissances, au sous-sol honteusement riche et à la population parfois admirablement pauvre, le chef de la gare de Kabalo, rongée par les mauvaises herbes, lance à la visiteuse: «Nous sommes dans la poubelle de l'histoire!» Le pays tangue, le léopard (Mobutu) est malade face au lion (Kabila) qui sort ses griffes. C'est l'histoire de la Danse du Léopard (2002). Entretemps, elle vous raconte tout cela avec de grands gestes de main, la voix modulable comme celle d'une conteuse.

De l'Est donc, arrive les conquérants et le souffle chaud des changements. En 16 mois, le pays tombe aux mains de la rébellion. A Kinshasa et Gbadolité, sur les piscines des anciens roitelets sacrés par le Léopard chassé, flottent des crapauds. Parmi les nouveaux venus se dresse le général Assani, du peuple des Banyamulenge, tour à tour victime et bourreau. Tout cela, la dame le raconte dans L'Heure des Rebelles (2007). Parce que pour décrire et comprendre Assani, «il me fallait retourner à ses années d'innocence », l'écrivaine se rend dans Les Hauts Plateaux (2009), entre Minenmbwe et Uvira.

Après ces quatre récits, elle décide de se reposer du Congo. Elle s'est tournée depuis vers la Chine, où elle a rencontré un illettré commerçant malien, venue acheter cinq milles jeans à une villageoise de Shenghu. « La rencontre des ruraux », vous glisse-t-elle... Non, il fait vraiment bon d'écouter Lieve Joris.

samedi 11 septembre 2010

Non à la mediocrité!

par Ketty Nivyabandi

Voici que ce vent familier souffle une fois de plus sur notre pays...
Un vent qui remue tout sur son passage, qui éveille et agite, et qui sort toute notre classe politique de sa torpeur. Car la prouesse des hommes et femmes politiques n’est jamais aussi évidente que pendant les périodes électorales.
Quelle fougue ! Débats passionnés bien que modérément argumentés, descentes musclées sur le ‘terrain’ (terrain étant le domicile permanent de 90% de leur population), intérêts soudains pour les droits de la personne humaine, pour la justice, les femmes… On aurait presque l’impression que les politiciens travaillent plus pendant la période électorale que pendant leurs mandats entiers…
Et voila que le mandat devient vite une récompense à la mesure de ce zèle, une couronne de lauriers sur laquelle beaucoup finissent par s’endormir profondément (il suffit de s’en tenir aux reportages de sessions au parlement)…
Vite, on s’assoupit dans ses nouvelles fonctions, et on en profite autant que possible comme une ribambelle d’enfants démunis dans une confiserie. On s’en gave, essayant de remplir tout ce que l’on peut dans sa poche. Pour beaucoup ce sont les fonds et marchés publics, pour d’autres plus subtils c’est l’obtention d’un commerce, un pouvoir d’influence, bref une longévité…

Mais si rare est cet homme ou femme politique dont le premier engagement professionnel est d’honorer son mandat : améliorer le bien-être de ses concitoyens. Rarissime est ce sens de devoir et du service, ne fut-il que minimum.
Si rare en définitive que nous, citoyens ordinaires, semblons aussi oublier les termes de référence des ces politiciens sitôt la bible sur laquelle ils auront prêté sermon rangée au placard. Et ce faisant nous cautionnons un système de médiocrité qui nous étrangle chaque jour un peu plus, qui nous ôte même notre fierté de nous appeler burundais.
J’exclue et salue de ce ‘nous’ les quelques (et une fois de plus si, si rares) hommes et femmes d’honneur qui se lèvent chaque matin pour dire non à cette médiocrité. Et qui en meurent aussi…
Mais qu’en est-il de la vaste majorité d’entre nous ?
Comment en sommes-nous arrivés à considérer l’absurde comme normal ? Est-il normal par exemple que des bébés meurent encore à Bujumbura, capitale d’un état indépendant, par manque de couveuses? Et ceci alors que nos parlementaires s’octroient des primes qu’on ne peut répéter, par pudeur et par honte ? …. Est-il normal que nos hôpitaux publics soient devenus des mouroirs (pour citer un célèbre journaliste burundais) ? Est-ce normal qu’une organisation contre la corruption ait eu à étudier plus de mille cas de malversations économiques ?
Pire, est il normal que plus grand monde ne se demande pourquoi ?...

Il semble exister et se répandre dans notre culture et nos coutumes, un certain fatalisme, une sorte de résignation face à notre quotidien aussi pénible soit-il.
Serait-ce le fruit d’une révérence culturellement africaine et particulièrement burundaise envers l’autorité publique, le chef, et toute institution qui l’entoure? Serait-ce l’indice d’un certain égoïsme en nous, car revendiquer le changement, surtout dans la gestion de la chose publique, implique souvent de larges sacrifices personnels.
Il faut oser défier le statut quo, au risque d’être marginalisé. Et dans notre société burundaise, gérée par une myriade de codes sociaux aussi tacites que complexes, où le respect s’acquiert dans le conformisme et non l’originalité, la marginalisation devient une lourde croix.

Certes, de grands progrès doivent être soulignés, surtout dans deux sphères particulières : les droits de la personne humaine et les biens publics. Aujourd’hui ceux qui portent atteinte à ces domaines sont vivement et publiquement dénoncés. C’est un grand pas que nous devons à l’émergence et au courage d’une société civile active et alerte.
Malheureusement ceci se limite souvent à quelques individus (ou organisations) ainsi qu’à des domaines précis. L’Etat au service des citoyens n’est pas encore devenu une culture, il n’est pas considéré comme un droit.
Et pourtant, petit rappel d’une urgence stridente : l’état de notre Etat n’a rien de normal.

Notre nation comprend d’éminents médecins, économistes, juristes, technocrates…
Pourquoi alors subissons-nous, sans dire un mot, de services de santé, d’une économie, d’un système judiciaire, et de performances médiocres ?
Et où sont nos intellectuels ? Où sont leurs écrits, leurs réflexions, ferments dont nous avons plus que jamais besoin ? Où sont nos artistes, pouls et miroir d’une nation ?…

Que retiendra l’histoire de notre génération ?
Nos parents ont le mérite d’avoir lutté pour notre indépendance. Quel sera notre héritage ? Serons-nous ceux qui aurons osé dire haut et fort : non à la médiocrité, sous toutes ses formes? Saurons-nous être les artisans d’une culture d’excellence ? De la performance ? D’un état de droit ? De nos droits les plus fondamentaux en tant que fils et filles de ce pays vieux d’au moins quatre cent ans ?
Droit à la paix, à une économie qui valorise ses producteurs et entreprises, à des infrastructures solides, à des services performants, à une justice impartiale, à des hôpitaux ou l’on guérit plus qu’on ne meurt, à des écoles qui dispensent un enseignement de qualité et non de quantité, à un système qui protège et respecte ses enseignants, ses femmes, ses enfants, ses personnes âgées, ses handicapés et tous ses couches sociales? Au développement et à l’essor économique, à une révérence pour notre culture et nos formes d’expression, à des medias libres?

Saurons-nous être un peuple qui marche vers l’avant ?...
Ou serons nous ces voyageurs invisibles, qui passent sans laisser aucune trace, ces coureurs qui le moment venu de passer le relais se rendent compte que leurs mains étaient vides tout le long de leur course. Et qui essuient de leur front la sueur amère d’avoir couru pour rien…

Il nous appartient, à nous tous citoyens, de prendre conscience des réalités qui nous entourent et de nous poser la question de savoir : est ceci le Burundi que nous voulons ? Sommes-nous sur le bon chemin ? Car un état ne se construit pas seul. Il part d’un rêve, d’une vision puissante et vivante, instruite du fait que si mon voisin souffre, mon bien-être est aussi menacé.

Notre jeunesse a besoin d’être inspirée, nos citoyens respectés, nos institutions reformées. Oui. Sans la moindre équivoque. Mais la médiocrité c’est d’abord en nous même qu’elle doit être vaincue. Si nous la tolérons dans nos choix personnels, dans nos proches et autour de nous, elle ne peut que croître et s’installer dans toute la nation du plus bas au sommet. Et cette nation devient une médiocratie. Nul besoin alors d’émettre innombrables critiques envers ceux qui nous gouvernent et nous ont gouverné depuis cinquante ans. Car ne dit on pas que l’on a les dirigeants qu’ont mérite ?...

Voici ce que je crois : je crois qu’une culture d’excellence est possible, que ceci est un choix, autant personnel que national. Je crois que le jour où nous exigerons mieux, de nous même et de nos dirigeants, il y aura mieux.
Et je crois aussi, comme un autre burundais, en cette parole robuste de sagesse : ‘‘Quelle que soit la longueur de la nuit, le soleil finit toujours par se lever’’.

La balle est dans le creux de nos mains.

Le cercle des poètes devenus

Slam de Tanguy Bitariho

Cette histoire est arrivée par hasard lors d’un soir dans un bar.
Au départ simples déboires ;
Les racontars, de ces êtres pleins de tares, recelaient en fait plein d’espoir.
Ainsi, de nulle part, le cercle des poètes devenus est venu tel un bel ingénu.
Tenus pour des fous, dans de folles tenues ;
Ces parvenus du néant absolu furent, malgré leurs nombreuses vertus, au début, bien malvenus.
Contrairement au cercle des poètes disparus ;
Leurs cœurs ne battent pas plus, ils battent plus.
Venus pour nous faire goûter à leurs crus ;
C’est en leurs rêves qu’ils ont toujours cru.
Voilà donc pourquoi ils sont là à dire ce qui se trame dans leurs émois ;
Et pourquoi ils sont si proches de vous et mois.
Néanmoins, de vous à moi ;
Messieurs, dames, l’objectif n’est pas qu’on les réclame ;
Ou bien d’obtenir une quelconque réclame ;
Mais juste de partager quelques slams dans une atmosphère calme.
Déboulant en parfait inconnus ;
Pas tout de suite compris, leurs textes étant quelques peu confus ;
Souvent hués pour leurs propos incongrus ;
Ils ont persistés refusant de renoncer, redoublant de volonté ;
Pour au final arriver à s’imposer sur la scène en acharnés.
D’un physique quelconque : enveloppé, décharné, élancé, trapus, glabre, velu ;
Ils viennent pourtant, sans instrus, faire goûter leurs crus ;
Mais qui l’eut cru qu’ils seraient acclamés, au lieu d’être abattu tels des intrus.
Aussi ridicule qu’une danseuse dans son tutu ;
Ils tuèrent les turpitudes des frasques et des farces de leurs faces ;
Par la force de leurs phrases à travers leurs phases.
Parce que négligés, fatalement ils ont clashé les clichés, slamant à l’arraché leur rage ;
Et par la force de leur âge, ils déclenchèrent un orage ;
Qui sans prévenir inonde mille pages.
Une fois pris dans cette pluie poétique ;
Le poète devenu danse dans une transe lyrique.
Sa plume peut être pudique, statique ou extatique ;
Mais nulle statistique ne saurait décrire l’état post-choc électrique de l’écrivain face à son écris.
Parfois chuchotement, parfois cri, parfois pleure, parfois moquerie ;
La crise cristallise exploit et bêtises dans une chrysalide de papier.
Une fois les mots prononcés, le papillon renaît ;
Pour s’enfoncer dans l’oreille de ceux prêts à l’écouter.
En rien génie juste épris d’un esprit de poésie ;
Tout ingénu est assez ingénieux pour en faire ;
Le savoir-faire résidant uniquement dans le refus de se taire.
Il n’y a nulle morale, il n’y a qu’un mal, que l’on exorcise par l’oral.
Et c’est sur ce sursaut de mots tendre tel le sureau et suave tel un sirop ;
Qu’un pauvre rêveur plein d’idéaux stoppe l’éloge de ses héros.

Le cercle des poètes devenus.

mercredi 8 septembre 2010

Des femmes et des lettres

par Roland Rugero

Cela n'arrive pas souvent, de croiser une Burundaise qui a déjà publié un roman. Ni d'ailleurs de causer avec elle pendant plus d'une demi-heure. Pour apprendre qu'elle a été, entre 1987 et 1991, la première Secrétaire générale de l'Union des Femmes Burundaises, la célèbre Ifebe (UFB), le plus haut poste auquel pouvait postuler une femme burundaise. Qu'elle est d'une génération où à Kiganda en province Muramvya, quelques femmes firent scandale il y a près de quarante ans à la messe en se présentant chaussées; ce qui eu pour effet de rameuter prêtres et abbés, garçons de Dieu et autres hommes pieux venus constater ce sacrilège commis par des institutrices (en plus)!

Non, cela n'arrive pas souvent, au Samandari, d'avoir une visite de Colette Samoya, auteure de La femme au regard triste.
58 ans, le regard alerte, cette mère de trois enfants vous résume la trame de son roman, qui se déroule vers les années 1970, alors qu'elle s'apprête à boucler ses études secondaires. C'est un amour impossible entre un séminariste et une élève. Relation taboue, témoignage oculaire sur la relation amoureuse à une époque de l'histoire du Burundi, «quand un prêtre pouvait chasser un séminariste pour l'avoir vu dans son rêve avec une fille...»

De nos grand-mères qui ne voyaient pour la première fois leur mari que lors de la soirée des noces, à nos temps où l'on porte taille-basse et haut-talons de dix centimètres, Colette Samoya tire un trait: «Il faut vivre son temps!»
Entre-temps, Maja Schaub, venue de Kigali nous apprend que le projet d'anthologie des auteurs de la sous-région (Burundi, Rwanda et RDC) avance bien. Et qu'à Kigali aussi, le projet Sembura (Iwacu n° 50, du 12 février) accueille aussi un café littéraire. Dont on a juste oublié de demander l’intitulé...

vendredi 3 septembre 2010

ARC-EN-CIEL, de Marc Meurrens

L'homme était grand et il avait la peau orange, comme beaucoup de ceux de sa région : la plaine, dont les reflets sont, selon l'heure, tantôt jaune, tantôt ocre, tantôt rouille.

La femme habitait la maison d'en haut, au sommet de la colline. Elle était belle et elle était bleue, peut-être parce qu'elle vivait plus près du ciel et que celui-ci lui avait offert sa couleur.

De la maison d'en haut, on apercevait très loin à l'ouest les montagnes où le soleil rougeoyait et d'où venaient les hommes rouges. Là bas, au nord, les cimes enneigées d'où venaient les hommes blancs. Plus près, les marais peuplés d'hommes plutôt verts. Il y avait aussi la région des mines et ses hommes noirs. Et les forêts où beaucoup avaient la couleur des myrtilles. Et bien d'autres lieux, et bien d'autres êtres.

L'homme orange aimer venir à la maison d'en haut, traversant la petite ville où toutes ces couleurs se rencontraient, se croisaient, se métissaient.
En chemin, il souriait à cette jeune femme joyeuse qui était toute rouge, à ce vieil homme très digne avec son corps jaune surmonté d'une belle tête verte; il s'arrêtait au marché où un enfant métis lui vendait une fleur ou un fruit et, puis, lui disait : « soyez heureux ».

L'homme orange venait souvent à la maison d'en haut y dire son amour à la femme bleue, parfois par une fleur, parfois par un fruit.
Il racontait l'enfant métis, multicolore, la face blanche, la tignasse noire, la main droite qui était rouge, la main gauche qui était bleue, les oreilles vertes pour écouter les cigales, et le sourire qui était un arc-en-ciel.

La femme bleue chantait jusqu'aux étoiles, parfois dans une langue, parfois dans une autre.
Elle chantait la vie et la mort, elle chantait la douleur et l'espoir, elle chantait l'amour.

A minuit, l'homme quittait la maison d'en haut, ayant promis, un peu contraint, à la belle, que leurs lèvres ne se toucheraient pas.
Elle lui disait « que Dieu te bénisse ».
Il lui répondait « que soit beau le chemin que tu traceras ».

= = =

Une nuit pourtant, peut-être parce que le petit arc-en-ciel avait si bien dit « soyez heureux », peut-être parce que les étoiles avaient si bien scintillé aux chants de l'amour, sans trop savoir pourquoi (et pourquoi savoir ?), elle dit « que Dieu nous bénisse » et il dit « que soit beau le chemin que nous tracerons ».

Ils reconnurent la passion qui les unissait; ils se firent l'amour et leurs corps, qui étaient bleu et orange, ne formèrent plus qu'un seul corps, un corps aux couleurs de l'arc-en-ciel.
Mais, quand il voulut déposer sur les lèvres de son amoureuse le baiser qu'il y cueillerait aussitôt, elle se déroba et lui rappela le contrat qu'il avait signé.

La belle l'invita à la patience et à la passion : « nous nous ferons mille et une fois l'amour, et, la mille et unième fois, nos lèvres se trouveront ».

Mille fois, le soleil, complice des amants, s'en fut se cacher au delà des montagnes et des océans.

Mille fois, la femme bleue descendit de la maison haute vers le marché demander à l'enfant arc-en-ciel la fleur ou le fruit qui accueillerait celui qu'elle attendait.
Mille fois, l'homme orange s'arrêtait au marché et demandait à l'enfant le fruit ou la fleur qu'il n'avait pas déjà vendu.
Mille fois, l'arc-en-ciel leur disait « soyez heureux ».

Alors, ils prirent au mot le petit vendeur, et ils furent heureux.
Ils construisaient la vie, avec des mots de toutes les couleurs, avec des chants de tous les espaces, avec des signes de tous les temps.
Ses doigts bleus si tendres glissaient sur le grain de la peau orange.
Ses mains oranges si fermes naviguaient doucement dans l'infini des collines et des vallons bleutés.
Chaque jour, ils se connaissaient.
Chaque lendemain, tout était à redécouvrir.

Souvent, ils se rencontraient au marché, chacun venant chercher auprès de l'enfant multicolore, qui la fleur, qui le fruit.
Alors, ils remontaient ensemble vers la maison haute, parfois la main dans la main, parfois tenant entre eux le petit arc-en-ciel qui leur avait dit, avec un regard déjà complice « soyez heureux »

Leur bonheur commençait en chemin, par l'humanité qui était leur, par les regards de toutes les lumières, par les sourires de tous les nuances.

= = =

Quand vint l'instant où le soleil allait se cacher pour la mille et unième fois, l'homme orange gravit plus vite le chemin qui menait à la maison haute.
S'arrêtant au marché, il vit que l'enfant avait toujours, et la fleur et le fruit.

Il n'y prêta guère attention : la femme bleue n'avait sans doute pas eu l'occasion, ce jour là, de descendre au marché.
Que lui importait, puisque ses oreilles s'émerveillaient déjà du chant de l'aimée.

Quand il tendit sa main à l'enfant, l'arc-en ciel n'était plus là.
Plus personne n'était là.
Tous avaient fui, hommes, femmes, rouges, verts, blancs.
Tous s'étaient cachés.
Tous tremblaient, enfants, jaunes, noirs, mauves.

Il n'avait entendu ni les rafales des tueurs, ni les hurlements des guerriers car les cris joyeux de l'amour remplissait déjà entièrement sa tête.

Dans la maison d'en haut, elle achevait de mourir, la femme bleue qui aimait un homme orange.

Un mince filet rouge coulait de ses lèvres définitivement vierges du baiser promis.

Elle avait eu le temps d'une larme pour la caresse restée inconnue.
Elle avait eu le temps d'un sourire pour les mille nuits d'amour.
Elle avait eu le temps d'un tremblement pour l'enfant multicolore,
l'enfant perdu qui aurait pu être leur enfant.

Il marcha vers la maison d'en haut.
Sur son chemin, ils étaient là.
Ni verts, ni blancs, ni rouges, ni bleus, car un masque couvrait leurs visages.
Ils portaient la couleur de la haine, les bottes de la terreur, les armes de l'absurde.

Un mince filet rouge coula des lèvres de l'homme orange qui aimait une femme bleue.

Il eu le temps d'un sourire pour les mille nuits d'amour.
Il eu le temps d'un sourire pour l'enfant multicolore,
pour l'enfant qui avait, à temps, pu fuir la folie,
pour l'enfant qui vivrait sans doute,
peut-être,
pour l'arc-en-ciel, leur enfant.

mardi 31 août 2010

Le Samandari accueille l'écrivaine Lieve Joris

Les Hauts Plateaux, de Lieve Joris (éd. Babel, 2008)

De Minembwe à Uvira, lieux difficiles à situer sur une carte de l'Afrique, Lieve Joris a traversé le Congo perdu de l'Est, non loin du Burundi et du Rwanda. Une marche au pays des collines vertes, là où cohabitent éleveurs et cultivateurs.

Comme pour mettre un point final, après des années, à son œuvre de recherche affective, d'approche des contradictions, de suivi des conflits, d'empathie pour les habitants un pays qu'elle a connu Congo, puis Zaïre, puis à nouveau Congo, Lieve Joris est allée à pied, cinq semaines durant, de village en village, dans cette région méconnue, résistante, restée à l'écart de la colonisation belge, où se côtoient des ethnies et des tendances politiques pas toujours en bonne entente.
Une marcheuse blanche, souvent la première jamais venue dans les parages,accompagnée d'un guide et de porteurs, picaresques à leur manière, dépositaires d'une valise, objet que Lieve considère comme son seul luxe, vu les conditions rudimentaires de vie des paysans, la pluie, la boue, les puces, les rats, la nourriture difficile, mais aussi les brigands possibles, les miliciens plus ou moins autonomes, les autorités pas toujours ravies de sa présence.
Des hautes collines aux abords du Lac Tanganyika, Lieve Joris nous propose une variante moderne des immersions des explorateurs, un résumé du Congo, sur un petit bout de carte fondamental en ce qui concerne la géopolitique de l'Est africain.Les Hauts Plateaux, de Lieve Joris (éd. Babel, 2008)

De Minembwe à Uvira, lieux difficiles à situer sur une carte de l'Afrique, Lieve Joris a traversé le Congo perdu de l'Est, non loin du Burundi et du Rwanda. Une marche au pays des collines vertes, là où cohabitent éleveurs et cultivateurs.

Comme pour mettre un point final, après des années, à son œuvre de recherche affective, d'approche des contradictions, de suivi des conflits, d'empathie pour les habitants un pays qu'elle a connu Congo, puis Zaïre, puis à nouveau Congo, Lieve Joris est allée à pied, cinq semaines durant, de village en village, dans cette région méconnue, résistante, restée à l'écart de la colonisation belge, où se côtoient des ethnies et des tendances politiques pas toujours en bonne entente.

Une marcheuse blanche, souvent la première jamais venue dans les parages,accompagnée d'un guide et de porteurs, picaresques à leur manière, dépositaires d'une valise, objet que Lieve considère comme son seul luxe, vu les conditions rudimentaires de vie des paysans, la pluie, la boue, les puces, les rats, la nourriture difficile, mais aussi les brigands possibles, les miliciens plus ou moins autonomes, les autorités pas toujours ravies de sa présence.
Des hautes collines aux abords du Lac Tanganyika, Lieve Joris nous propose une variante moderne des immersions des explorateurs, un résumé du Congo, sur un petit bout de carte fondamental en ce qui concerne la géopolitique de l'Est africain.
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L'Heure des rebelles, de Lieve Joris (éd. Babel, 2007)

Kinshasa 2003. Depuis l'assassinat de son père, Joseph Kabila est la tête du pays. Au Congo, la guerre civile s'achève et un gouvernement de transition s'installe, qui suppose partage de pouvoir avec les ex-rebelles et réunification officielle de l'armée.
Assani, officier supérieur, témoin actif de tous les conflits des années précédentes, s'installe dans la capitale avec ses gardes. Originaire de l'Est, il est de ceux qui furent rebelles, puis fidèles, menacés du fait de leur origine, traqués ou tout-puissants au gré des événements, des données politiques, des intrigues.
S'appuyant sur des situations et des lieux réels, Lieve Joris dresse le portrait de cet énigmatique personnage. Homme du combat comme du renseignement, de la violence comme de l'amitié, bousculé par un destin qui le plonge dans une solitude permanente et inquiète, Assani est à la foi pion, roi et fou sur un échiquier d'étendue internationale. Un pan fondamental de l'histoire du Congo et de l'Afrique est ainsi abordée à échelle humaine.
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Danse du léopard, de Lieve Joris (éd. Babel, 2001)

Au moment où Lieve Joris arrive au Congo (1997), les enfants-soldats de Laurent-Désiré Kabila prennent le contrôle de Lubumbashi. Le « lion » a vaincu le « léopard » Mobutu. Seize mois plus tard, Lieve Joris est encore sur place lorsque les « rebelles » tentent de renverser le nouveau régime. Tout ce qui s'est passé entre-temps est consigné au long de ces pages saisissantes. Dans les vestiges du palais équatorial de l'ancien dictateur Mobutu, sur un bateau fluvial parti récupérer une cohorte de réfugiés hutu, au procès des rivaux de Kabila, ou encore dans un véhicule de l'armée qui la reconduit fermement vers Kinshasa, jamais Lieve Joris ne cesse de donner la parole aux Africains qu'elle rencontre. Alors, peu à peu, prend forme inimaginable réalité d'un pays désemparé et chaotique, sur lequel elle pose un regard plein de respect, d'amitié et d'intransigeance.
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Mon oncle du Congo, de Lieve Joris (éd. Babel 1987)

A la recherche de son passé familial, Lieve Joris, dans les années 1980, s'embarque pour le Zaïre (ex-Congo belge). Elle y retrouve les traces de son oncle, missionnaire dont les cartes postales et les récits avaient coloré son enfance. Et elle se voit aussitôt confrontée aux paradoxes de la décolonisation et à la réputation que les Européens font au continent noir.
Un ton personnel anime ce récit où affleure constamment la vulnérabilité d'une jeune voyageuse qui peu à peu prend confiance. Mais ce regard de femme sur l'Afrique vaut aussi par tout ce qu'il reconstitue d'un passé révolu- ce vieux rêve d'évangélisme missionnaire dont elle ressaisit les illusions en même temps qu'elle en découvre les derniers vestiges.