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Café Littéraire. Espace ou naissent et se croisent toutes formes d'écrits: slams/poésie/contes/nouvelles/romans/théâtre. Tous les jeudis de 18h à 20h au CEBULAC (Burundi Palace, 1er étage), en plein centre de Bujumbura. Entrée libre et gratuite.

mardi 27 novembre 2012

A la découverte de « Notre-Dame du Nil » de Scholastique Mukasonga, le Renaudot 2012


Le roman « Notre-Dame du Nil » de Scholastique Mukasonga (Gallimard, coll. Continents Noirs, 240 p.) est paru cette année chez Gallimard, dans le sillage d'une trilogie initiée en 2006. Scholastique Mukasonga y exhume le spectre d'une mémoire ensanglantée, maniant avec habileté la force caustique. Elle est venue à l'écriture avec le génocide rwandais de 1994. Alors exilée en France, elle apprendra que vingt-sept membres de sa famille ont été massacrés. Parmi eux, sa mère. Elle a usé de sa plume pour "survivre" à l'ombre portée de ce drame collectif, "faire le deuil", témoigner.
Rwanda. Crête Congo-Nil. Début des années 1970. Plongée dans un microcosme étouffant : un lycée imaginaire du nom de Notre-Dame du Nil (ndlr : qui rappelle étrangement le Lycée Notre Dame de Cîteaux à Kigali), pensionnat catholique pour filles appliquant un quota "ethnique" limitant à 10 % les élèves tutsi. Construit au lendemain de l'indépendance (1962), l'établissement est situé non loin de l'une des sources du Nil, près de laquelle se trouve une statue représentant une vierge noire. "C'est Mgr le Vicaire apostolique qui a décidé d'ériger la statue.
L'élite du pays - ministres, militaires haut gradés, hommes d'affaires… - y envoie ses filles dans l'idée de leur offrir une éducation prestigieuse, d'en faire l'avant-garde de la promotion féminine, et de s'assurer de leur virginité jusqu'au mariage grâce à l'éloignement des tentations de la capitale, Kigali.
En octobre, à l'occasion de la rentrée scolaire, un spectacle haut en couleur attire les regards : le défilé des voitures avec chauffeur conduisant les élèves au lycée - Mercedes, Range Rover, grosses jeeps militaires…Dans ce pensionnat fréquenté essentiellement par des jeunes filles hutu, les élèves tutsi sont soumises à un régime d'exclusion et d'oppression sournois, occasion d'une sorte d'"exil intérieur".
Ce nez d'une vierge noire qu'une lycéenne ne saurait voir
Gloriosa, orgueilleuse lycéenne hutu fille de ministre, participe à l'oppression. Elle se lancera dans une série de sinistres projets, dont un tragicomique : la destruction du nez de la statue de la vierge noire. Argument avancé pour justifier cet acte : "C'est un petit nez tout droit, le nez des Tutsi. [...] moi, je ne veux pas d'une Sainte Vierge avec un nez de Tutsi".
Plan d'action développé par Gloriosa : "on casse le nez de la statue et on lui colle un nouveau nez [...] j'en parlerai à mon père [...] D'ailleurs il m'a dit qu'on allait détutsiser les écoles et l'administration. Nous, on va d'abord détutsiser la Sainte Vierge". Acte militant que cette lycéenne mettra en œuvre et parviendra à glorifier grâce à un stratagème machiavélique.
Plus tard, cette farouche activiste anti-tutsi soutiendra activement l'intervention violente des JMR (Jeunesse militante rwandaise) dans le lycée. Scholastique Mukasonga livre une série de charges critiques sur la duplicité et l'hypocrisie du personnel religieux en charge du pensionnat et sa complicité avec des pratiques d'exclusion discriminatoire. L'aumônier, le père Herménegilde, se "distinguera" entre tous. Il fera notamment devant les lycéennes l'éloge du Manifeste des Bahutu de 1957, sinistre document ayant joué un rôle dans l'exacerbation de l'opposition Hutu/Tutsi…
M. de Fontenaille, un "vieux Blanc" résidant non loin du pensionnat, se sent quant à lui l'allié du peuple opprimé. Il s'est inventé une mission : retrouver la "mémoire perdue" des Tutsi. Ancien planteur de café - il avait espéré faire fortune avec cette denrée - reconverti en peintre-chercheur quelque peu mystique, il projette sur le Rwanda ses fantasmes foisonnants. Les murs de sa maison sont ornés de cornes d'antilopes, défenses d'éléphants, reproductions de fresques représentant des pharaons noirs sur leur trône, des dieux à tête de crocodile…
Tentant de retracer les liens entre le peuple tutsi et une Égypte de pharaons noirs, M. de Fontenaille s'évertue à dresser les portraits de lycéennes tutsi dont les traits lui rappellent ceux de la déesse Isis, à qui il a dédié dans son jardin un temple d'inspiration égyptienne. "Lui, ce qu'il veut, c'est mettre en scène sa folie. »
L'histoire mise en scène dans Notre-Dame du Nil prend la forme d'un drame en devenir. L'ouvrage s'inscrit dans l'ordre d'une tragédie. Il se profile une sorte de préambule au génocide de 1994.Notre-Dame du Nil est servi par une écriture raffinée et sans pathos. Scholastique Mukasonga y manie avec habileté la force caustique.

L'article est de Christine Sitchet, publié initialement sur http://www.africultures.com/php/index.php?nav=article&no=10957


dimanche 18 novembre 2012

Découverte : Bibish Mumbu, une autre voix de la RDC




Bibish (Marie-Louise), 37 ans, auteure notamment 
de « Samantha à Kinshasa » a fait des  études de 
journalisme.  A lire, entre autres, ses articles et 
publications sur  www.africultures.com 
(©Christine Verdussen)
Écrivaine et journaliste congolaise, Bibish Mumbu nous décrit, enjouée, grave et souriante, son voyage entre Kinshasa et Montréal...
Par Roland Rugero
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Cet article a été initialement publié dans les pages littéraires d'Iwacu Magazine

Tout part d'un reportage dans Africultures. Les Nuits de l'Afrique tiennent leur 25ème édition et Marie-Louise Mumbu, dite Bibish (le tant aimé surnom est de son père) y participe. Elle note, de son écriture virevoltante : " Et quand ils [Les Kassavs] ont lancé "tout le monde maboko, ah mama e maboko ", on l'a ressenti comme un spécial clin d'œil pour nous, mon mari et moi, portés sur des notes de musique et traversant les deux continents, nos souvenirs, la vie. " Ce fut ma première question. Qu'elle nous re-explique ce qu'elle a vraiment ressenti à ce moment-là: " C’était comme être dans un espace donné mais avec des sons et des images d’ailleurs. On était à Montréal, entourés d’un monde fou et pourtant on avait dans les narines des odeurs de Kinshasa et le souvenir de notre jeunesse ». Et de se souvenir « comment certains amis, pour aller voir les Kassav au Palais du Peuple [à Kinshasa], avaient raconté des histoires à leurs parents… comment d’autres, malgré le refus des parents, avaient réussi à voler la voiture et embarquer des copains pour aller danser au rythme de tout le monde maboko ! » 

Verdict : « Ces Nuits d’Afrique-là ont réussi à mêler Kinshasa et Montréal pour n’en faire qu’un seul espace avec comme point commun Kassav et nous. » Deux villes, deux pays. Quelle identité l'auteure congolaise se donne-t-elle par rapport à la cité canadienne ? « Je reste citoyenne du monde, l’univers étant ma patrie et présentement je vis à Montréal… Ma relation première avec cette ville est d’abord personnelle avant d’être professionnelle, étant venue ici rejoindre mon mari. » Point donc de déchirement. Au contraire, « je suis en train de découvrir la ville, ses logiques, ses gens, ses mœurs, en me sentant complètement à mon aise. Je recherche, ici, une essence particulière, comme j’en ai trouvé une à chaque fois dans les différentes villes et différents pays où j’ai séjournés » décris Bibish.

Kinshasa, Montréal. « Le mot commun c’est le français, et donc le croisement reste possible ! », analyse la dramaturge. Dans cette vie ailleurs, loin, à des milliers de kilomètres de ses racines, Bibish découvre une langue familière, mais autre, car « chaque peuple invente sa langue, le parisien, le bruxellois, le kinois ou le québécois, et ça se ressent soit dans les expressions, soit dans l’accent ». L'a-t-elle apprivoisée ? « Je dois avouer que le français québécois ne m’a encore gagné complètement, je souris à certaines expressions, je me refuse à l’accent qui se refuse à moi aussi, je ne suis pas là depuis assez longtemps pour y prétendre… »

Entre le français de la capitale congolaise et le québécois, « l’autre point commun c’est moi. Qui raconte, qui vit dans les deux mondes, qui porte toutes mes identités, qui garde mon essence, la principale, puisée dans le lac Mobutu à Bukavu, ou au Kasaï occidental chez le Mukua Luntu le plus important que je connaisse – mon père, ou dans les rues et boulevards et théâtres de Kinshasa la belle entre le Motema Mpiko de mademoiselle De Meyer et la 21ème promotion de l’Institut des Sciences et Techniques de l'information, entre mes ateliers d’écriture et les émissions radio et télé qui m’ont invitée ».

A Montréal, rencontre-t-elle des auteurs venus d'Afrique ? « Il y a des rencontres d’auteurs de partout, je ne les ai pas tous répertoriés encore. Mon souhait, c’est de se mélanger le maximum possible », annonce Bish. Mais attention : « Les rencontres d’auteurs venus d’Afrique seraient intéressantes si elles sont axées sur la confrontation et l’échange. Je viens déjà d’Afrique, je ne vais pas me cantonner dans les milieux black africains et en même temps me contenter de ces rencontres ». Et voilà que Mme Mumbu est jéjà en contact avec le Centre des auteurs dramatiques – CEAD, « une structure qui organise des rencontres d'Amérique latine, auteurs jamaïcains, auteurs belges ou français, auteurs d’Afrique ». Quand « diversité » n'est plus un slogan...