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Café Littéraire. Espace ou naissent et se croisent toutes formes d'écrits: slams/poésie/contes/nouvelles/romans/théâtre. Tous les jeudis de 18h à 20h au CEBULAC (Burundi Palace, 1er étage), en plein centre de Bujumbura. Entrée libre et gratuite.

lundi 26 décembre 2011

Dîtes à ma femme que je ne rentrerai pas pour Noël

Minuit 14h17, temps local, tension artérielle normale
La lune ne veut pas se montrer
Peut-être les chiens du voisin l’ont mangé
Il y a une heure et quelques minutes,
Ils aboyaient comme s’ils avaient attrapé un chacal
Je croyais qu’ils mangeaient la lune
Non, Seigneur, pas encore…
Ils mangeaient l’inconnu qui se cachait dans le sous-sol de nos vies de misères
Ils se régalaient, les chiens, de l’homme condamné sans jugement
Les fauves festoyaient les derniers instants d’un innocent

L’homme entre les crocs des carnivores s’appelait Citoyen
Ses yeux comme des boussoles indiquaient la fin de sa marche
Ses bras en croix traduisaient l’absence de pitié du tueur
Et la note dans sa poche résumait la fin de toutes les saisons
La note, une phrase tatouée sur son front disait :
Dîtes à ma femme que je ne rentrerai pas pour Noël
Et des points de suspension comme des points d’orgue
Des espaces vides comme un sémaphore à sa femme :
C’est mon dernier réveillon
Un message codé qui voulait dire :
Le chagrin me tient en laisse
Pour que je ne morde pas aux passants qui se moquent de moi
La souffrance me cloue au lit
Les hôpitaux m’empoisonnent d’espoir
Hélas, la mort ne veut pas que je rejoigne son troupeau
J’ai encore des litres de souffrances amères à boire
Dîtes à ma femme que je ne rentrerai pas pour Noël
Que j’attendrai le tueur embusqué dans ma vie
Qu’il m’assassine et qu’il efface mon histoire


Des sources incertaines, des morts que j’enterre, j’ai appris
Que le tueur, la nuit, a fui vers les montagnes
Il avait, autour de ses yeux, pour ne pas voir ses victimes pleurer
Une cravate en bijoux de sang
Et une chemise taillée dans un tissu grossier
Qui suintait le sang
A la frontière, on ne l’a pas arrêté
Les douaniers, quand il a passé, ont pleuré
L’ont laissé passer, histoire de ne pas se souiller les mains
Sur un long bambou bien pointu
Les membres de ses victimes en brochette pendaient
Il fuyait son histoire et ses mensonges
Entassés sur des mètres cubes d’un passé illicite et mal sevré


Un homme a été enterré vivant qui voulait l’allaiter
Il s’appelait Pardon
Le tueur l’a embroché d’un coup mortel
Et il a continué son chemin
Un autre qui lui demandait des comptes
Le tueur lui a crevé les yeux
Le mort s’appelait Cœur
Le tueur a suivi son chemin
Sur des béquilles mal ajustées
Il se déplaçait vers le sud de sa destinée
Impatient de croiser le faucheur du temps
Hâte de retrouver ses anciens copains


Le mort de minuit ne pensait qu’à sa femme qui resterait seule
Et dans sa paume il avait griffonné :
Dîtes à ma femme d’être forte
Et de ne pas prolonger le deuil
L’assassin, dans la foule, pourrait faire le malin
Et abattre l’orphelin et s’approprier la souffrance des voisins
Et t’exiler vers la forêt ou vers le fond du lac
Et dans l’autre paume il avait dessiné
Trois points de suspension
Comme pour me dire : dis à ma femme de fuir


J’en ai assez d’être fossoyeur
Et d’enterrer des innocents démembrés
Assoiffé de justice, affamé de vérité
Les bras levés vers le ciel, j’implore
Je fais appel à tous les anges du royaume
Je réveille, à grands cris, les dieux des volcans éteints
Fossoyeur angoissé, je descends les dernières marches de mon espoir
Le chagrin me ramène au bas de l’échelle
Et sur une corde de quelques centimètres
Je compte les jours qui me restent
Avant que le tueur ne s’en prenne à moi


Pas plus tard que dans un mois
Peut-être, si le ciel est clément, dans un an
Je ne serai plus
Fini le fossoyeur, le seul qui empêchait les charognards
De se ruer sur les cadavres entassés sur la berge du lac
Le facteur des derniers instants


Ce soir, avant que le soleil ne meure
L’assassin, d’un regard froid me demandera s’il y a une place au cimetière
Sans hésiter, je lui dire : deux places !
Un pour moi et un pour lui
D’un coup, je boirai le calice jusqu’à la lie,
Avalerai la bouteille et le bouchon
Le poison est des fois sucré, que l’assassin disait aux victimes


Sans peur, je dirai à l’assassin
Ne dîtes pas à ma femme que c’est mon dernier Noël
Elle est délicate, la nouvelle le tuerait
Il aura les yeux de son fusil dans mon regard
Et sa baïonnette sur ma gorge dessinera le dernier jugement
De mon gré, je mourrai
De mon choix, je me ferai assommer
Pour rejoindre les victimes de l’assassin des collines


Sur la tombe de l’assassin qui court toujours
En caractères noirs de colère on gravera
Qu’il repose en tourments… et en tourbillons
Et sur la pierre tombale du mort de minuit
Il y aura des fleurs qui viennent du monde
Et des discours de chagrin de la veuve et de l’orphelin


Et dans les annales de la mort
Pour garder au frais la mémoire des victimes
Et des innocents empaillés contre leur gré
Le scribe écrira :
Ci-gisent les innocents du Burundi.

Le Fossoyeur

Par Thierry Manirmbona

2 commentaires:

  1. très bien écrit tout simplement, fallait k ton journal en face la une au lieux de cette publicité sur cette piste ignorée,

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  2. C'est vraiment profond mais se termine sur une note de désespoir, l'assassin court toujours. Sommes nous condamnés à subir sans regimber et à l'impunité éternelle.

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