Il écrit,
crée, poète, conteur, de ses yeux profonds, et rieurs, et noirs...
Rencontre avec un écrivain de l'Est de la RDC.
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Célestin Ntambuka Mwene C'Shunjwa, présentant « Affaire bille … quand on oublie » à l'Institut Français du Burundi en juin 2011. © T. Mazina |
Une très grave maladie :
dans sa famille, il a été le premier à « attraper la
culotte ». Les choses se passent à Mwimbi, dans un village
perdu du continent-pays Congo, au Sud-Kivu. « Un jour, je ne
sais quelle bêtise j'ai commise et mon père a décidé, excédé,
de m'envoyer à l'école des Blancs », raconte Célestin
Ntambuka. Au passage, on ne sait pas exactement quand il est né,
« probablement vers 1942 », soupire-t-il.
Donc, voilà le jeune Célestin
sur le chemin de l'école, en cache-sexe ! Une révolution, ce
morceau de tissu qui … en cache. Plus tard, « parfois, les
culottes tombaient en courant vers nos cours, et on s'en foutait! »,
précise avec gourmandise le vieux monsieur, visage noir, dent
jaunes, yeux un peu rouges, un peu tristes, et soudain rieurs.
Célestin, 1957. Fini les
caches-sexe : le petit monsieur entre au secondaire au Petit
Séminaire de Mugeri, puis au Collège Notre Dame de la Victoire
(actuel Collège Alfajiri de Bukavu) où il termine son cycle en
1963. Son père le voit déjà prêtre, un honneur pour la famille...
Célestin, lui, souhaite justement entrer dans l'ordre des
Montfortains, une congrégation mariale, « car j'avais
l'impression d'avoir été, dès le départ, féministe »,
analyse l'écrivain. L'évêque lui refuse cette voie de
missionnaire, et une année après, Célestin se retrouve au Grand
Séminaire de Murhesa : quatre ans de philo et théologie au
programme.
Une rencontre tardive
Les premières rencontres avec la
littérature, c'est au secondaire, dans le théâtre. Pas mal, comme
acteur. Personnalité : « Parfois impulsif, assez curieux,
mais avec une constante : l'amour et l'universel », parle
de lui Célestin.
Après Murhesa, c'est à
l'université de Luvanium à Kinshasa que le séminariste, en
provenance de l'austère province, découvre la capitale. Et ses
réalités. Des étudiants qui se moquent des corbillards (alors
qu'il vient d'une culture qui accorde tant de respect aux morts), les
tricheries à l'amphithéâtre (alors qu'à Mwimbi, Célestin passait
ses examens sans surveillants - « après avoir marqué les
questions au tableau, le professeur s'en allait et fermait la porte
derrière lui, sans que personne ne songe un seul instant de voir ce
qu'avait écrit à côté » vous fusille-t-il...); bref, tout
un autre monde.
Et la littérature surgit :
« Le premier poème que je compose est dédié à un confrère de
Bukavu qui, à 2000 km des lieux, apprend un bon matin que sa fiancée
est décédée »... Ses textes, Célestin les partage avec une
mordue de poésie, Faïk Nzuji Clémentine, qui deviendra plus tard
docteur d'État ès Lettres. Sauf qu'il ne pourra pas continuer ses
études: « Je n'avais pas d'argent, et je me suis arrêté
en deuxième année, en Philosophie et Lettres ».
L'enseignement, puis la
politique
Après cette brutale interruption
de sa formation universitaire en 1970, Celestin s'enfonce encore plus
dans l'écriture, et l'enseignement. Collège Saint-Augustin (dans
l'ex Bas-Zaïre), Lycée de Mwanda, puis Collège Saint-Paul
(Bukavu).
1976 : la vie religieuse
prend définitivement fin avec la naissance officielle de son premier
fils, suivi de quatre autres enfants. Plus tard, l'artiste sera même
recruté par la Présidence de la République sous le « fraternel »
regard du Maréchal Mubutu, pour assurer les relations publiques et
la gestion de la bibliothèque d'un Institut de Recherche
Scientifique. A-t-il résisté, face à ce qui est décrit comme un
enrôlement ? « C'était à l'époque du parti unique, et
refuser valait presque signer sa mort », explique l'écrivain.
Puis, philosophe : « J'ai toujours préféré que la
politique s'intéresse à moi plutôt que l'inverse, car il y a
tellement d'hypocrisie ».
Célestin
s'éveille, quand il aborde ce sujet, estimant qu'en général, « et
c'est vraiment pathétique, nous avons des oppositions aux pouvoirs
en place prêtes pour des crocs-en-jambe sans apporter de véritable
alternative, surtout quand ils accèdent aux affaires! »
Revient vers sa carrière dans le célèbre Mouvement Populaire de la
Révolution (MPR) sur lequel trônera Mobutu, pour en rappeler le mot
d'ordre, soulignant par là l'urgence de la survie à l'époque :
« Olinga, olinga te! » - Que tu le veuilles ou
pas...
Célestin continuera à parler
d'amour, et d'attrait pour l'universel. Il évoque même, dans ses
compositions, « le Parti de Rassemblement des Hommes ».
Les lecteurs s'interrogent sur cet artiste, tout de même, « qui
peut concevoir un parti autre que le MPR! »
Pour un si grand chantre de
l'amour, une question : « Et l'épouse, dans tout ça ? »
Dans cette vie pudiquement caché derrière un regard rougeoyant,
mi-sévère, mi-souriant, Célestin soupire: « Elle a
disparu mystérieusement en 1996 » :
- Disparu ?!
- Oui, partie, je ne sais
plus où elle est!
Puis maugrée : « Nous
devons aller aux delà de nos frontières! » L'homme, près de
son baluchon posé à ses pieds, dans ses habits fatigués
quoiqu'emprunts de tenue, cet artiste qui avoue entre deux regards
pudiques « être sur la touche », parle-t-il de mort, du
souffle de la création ? Ou d'amour, toujours ? Soudain,
on a peur d'une question de plus.
Roland Rugero
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En
1990, Célestin participe au Festival International de la
Francophonie de Limoges (France), en tant que conteur, « à
défaut de présenter d'autres disciplines littéraires qui avaient
leurs ambassadeurs». A partir de cette expérience, Célestin
présentera son travail au Kivu, à Kinshasa, dont le plus célèbre,
« Gris globule »,
un recueil de poèmes de 1978, suivi par les « Contes
des rives et des eaux », tous
édités par le Centre Culturel Français de Kinshasa. Dans le
théâtre, on notera « Milinga, l'énigme d'une vie »
et « Tel un cauchemar »,
pièces non éditées, quoique la première ait été jouée à
Kinshasa en 1976. Dans « Affaire bille … quand on
oublie », dont un extrait
a été publié dans l'anthologie Émergences – Renaître
ensemble des auteurs de la
sous-région, Célestin raconte les affres d'une guerre tribale
opposant les Ki aux Ku. La cause ? Avoir été comparé à une
bille... L'improbable et le tragique, deux thèmes qui reviennent
chez l'écrivain congolais.