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Café Littéraire. Espace ou naissent et se croisent toutes formes d'écrits: slams/poésie/contes/nouvelles/romans/théâtre. Tous les jeudis de 18h à 20h au CEBULAC (Burundi Palace, 1er étage), en plein centre de Bujumbura. Entrée libre et gratuite.

samedi 8 janvier 2011

"L'Albinos" lu par Ketty Nivyabandi

« C’était à minuit qu’ils sont venus ». Ils, c’était les trafiquants des albinos, les vendeurs de chair. Ils ont débarqué comme la grêle, sans prévenir. Ils ont pris en otage les enfants du soleil. Ils sont venus la nuit, m’a dit Polycarpe l’albinos, parce que, le jour, le soleil aurait protesté. Ils leur ont attaché les bras dans le dos et leur ont mis une chaîne de fer autour du cou (j’ai fermé les yeux et j’ai revu les tableaux de la traite négrière). Ils les ont fait marcher toute la nuit, sous la pluie. Si le vieux a été épargné, c’est que le soleil s’est miraculeusement levé plus tôt ce
jour. Le soleil s’est levé avant que les preneurs d’otage ne traversent la rivière vers
le royaume où le sacré n’existe pas, vers le royaume du grand serpent. Et ils ont abandonné Polycarpe à l’autre rive de peur que le soleil ne les surprenne.

J’ai regardé Polycarpe. Il avait des larmes dans les yeux. Un filet de larmes s’échappait de son ?il gauche. Je me suis approché et avec mes doigts, j’ai essuyé ces larmes. Il m’a dit Merci. Nous nous sommes tus pour faire mémoire de tous les enfants du soleil immolés dans les collines du pays et à l’autre rive de la Ruvyironza. Et vingt minutes plus tard, les bras levés vers le ciel, avec un ton d’un Christ en croix, Polycarpe a dit : « Pardonne-leur Seigneur, ils ne savent pas ce qu’ils font ». Sans réfléchir, j’ai murmuré Amen...
Extrait de L'Albinos, de Thierry Manirambona
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Permets moi de partager avec toi les émotions qui m'ont traversées pendant et bien après la lecture de ton beau texte.
Emotions car ta nouvelle est une poésie, et la poésie se lit non avec la raison mais avec le cœur….

J’ai ete profondément émue par la beauté et la grandeur de l’écriture de L’Albinos. Ce n’est pas un texte prétentieux, ce n’est pas non plus un texte qui cherche a impressionner ou a prouver quelque chose, (un talent, un point de vue, une identité…) comme c’est souvent le cas pour beaucoup d’auteurs. Ce n’est pas un texte qui se cherche. Au contraire j’ai ressenti une grande assurance, une grande aisance, et j’oserais dire une grande liberté de l’auteur, et ca c’est impressionnant.

Ton texte se lit comme un long poème, ou une longue incantation. Au delà de l’histoire, qui est d’ailleurs rythmée au son d’un clocher d’église, la nouvelle devient un voyage de l’âme, un périple d’émotions. Et je crois qu’une des choses qui rende cela possible et qui m’interpelle le plus dans L’Albinos, c’est sa sincérité. Un texte peut être beau par sa forme, ou touchant par son fond, mais ce qui rend un texte mémorable et émouvant c’est souvent le mariage des deux. L’Albinos est émouvant parce qu’il est superbement écrit mais surtout parce qu’on le sent vrai. Il parle des vérités les plus intimes qui résonnent en nous. Ces pieds qui ressemblent a ‘des carapaces de tortues’ on les voit, on les sent, on les touche, on lit leur histoire. On les reconnaît. Et puis il y a cette ligne que mon cœur a tout de suite mémorisé: ‘dans ses yeux il y a des rivières de chagrin’… Il n’y a pas besoin de tout dévoiler car tout est implicitement dit, il y a la un grand pouvoir de suggestion qui rend a la lecture son pouvoir et sa gloire: faire pénétrer dans l’univers de l’imaginaire.

Polycarpe est maintenant quelqu’un qui fait partie de ma réalité, il est devenu une de ces personnes dont on ne sait plus très bien si on les a réellement rencontrées ou si on les a juste croisées sur les rives d’une page. Il a sa place dans ma conscience, et je le reconnais parfois dans des regards autour de moi. Je l’ai vu dans les yeux d’un vieux mendiant à la peau grise en Inde, il y a quelques semaines a peine, et je me suis arrêtée en me demandant pourquoi ce regard m’était si familier. Lui me regardait aussi, sans jugement, sans question, sans rien demander. Il était entier.

Cette entièreté de Polycarpe est justement une chose qui me touche. Malgré ses misères, malgré ses airs de mendiant, il ressort plus fort et plus noble que nous tous, passants et lecteurs. Il possède en lui quelque chose que nous avons perdu, que nous cherchons désespérément sur les sentiers de la vie...

Mais cette entièreté émane aussi du regard de son auteur ; un regard rempli d’humanisme et de respect pour lui. Ce n’est pas un regard qui exhibe, ou un regard envahisseur. C’est un regard qui honore. Qui restaure. Qui restaure ce qu’il y a de brisé, surtout chez le lecteur. Pour moi, Polycarpe a restauré mon humanité, cette qualité universelle qui me permet de me reconnaître en l’autre, mais que les circonstances de la vie effritent si vite. Polycarpe m’a appris a voir en l’autre non un étranger mais une partie de moi, une partie de nous tous, une partie de ce grand cercle vivant que nous autres mortels formons…

Polycarpe a restauré la vision, jusque la embuée, de mon cœur. Et qui d’autre qu’un grand poète aurait été capable d’une telle prouesse ?...
Merci Thierry.

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