Le
samedi 11 mai 2013, le CAPDIV organisait à Paris une conférence intitulée « Le Burundi et
le Rwanda au miroir du roman ». Deux communications universitaires
suivies d'un débat ont tenté d'interroger les liens tissés entre
l'univers fictionnel du roman et l'Histoire burundaise et rwandaise.
Par Céline Gahungu, professeure agrégée de Lettres,
doctorante à Paris-Sorbonne, Chercheuse associée à l'ITEM
Lors de la conférence. A gauche, Céline Gahungu présentant « L'Histoire burundaise au miroir de deux romans : La Descente aux enfers d'Aloys Misago et Baho ! de Roland Rugero » ¢dr |
Un
public varié, composé d'une quarantaine de personnes dont le
slameur Gaël Faye, universitaires, étudiants, personnes issues de
différentes communautés africaines mais également simples curieux
désireux d'en apprendre davantage sur le Burundi et le Rwanda …
Voilà le public lors de cet après-midi de réflexion et de débats
sur l'Histoire des deux pays, trop souvent méconnus et objets de
stéréotypes, mais également sur le rôle que peut jouer la
création littéraire dans un processus de reconstruction et de
réconciliation.
La
première intervention ayant pour titre « Postérité et
détournements des mythes coloniaux dans Notre-Dame
du Nil
de Scholastique Mukasonga », a été prononcée par Pierre Boizette,
étudiant en Master à l'Université Paris X Nanterre. Ma
communication portait quant à elle sur le Burundi : «
L'Histoire
burundaise au miroir de deux romans : La
Descente aux enfers d'Aloys
Misago et Baho
!
de Roland Rugero ».
Une
initiative du CAPDIV : naissance d'un projet
Le
CAPDIV, association dont l'objectif est de lutter contre préjugés
et discriminations par l'accès au savoir, organise régulièrement
des colloques mettant à l'honneur les cultures africaines et issues
des diasporas. Le panafricanisme, l'écriture de Sony Labou Tansi, le
rôle des soldats africains au cours des deux Guerres mondiales ou
encore l'action et la pensée de la célèbre féministe
afro-américaine Angela Davis sont autant de sujets qui soulignent la
diversité des centres d'intérêt du CAPDIV.
Membre
de cette structure depuis quelques années désormais, il m'est venu
une idée au cours de l'hiver 2012 : consacrer un événement à la
création littéraire burundaise, encore malheureusement peu connue.
Bien entendu, mon attachement profond à ce pays qui est en partie le
mien a joué un rôle évident. Mais des enjeux scientifiques ont
également présidé à ce choix. Du patrimoine oral ancien encore
fécond à l'émergence de Samandari qui met la révolution numérique
au service de l'inventivité, il est grand temps me semble-t-il de
constituer un discours critique et universitaire. Au cours de ces
mois de réflexion, mes travaux ont reçu l'aide précieuse des
différents acteurs des lettres burundaises. Les conseils avisés de
Roland Rugero, d'Aloys Misago, des professeurs Ngorwanubusa,
Manirambona, Nizigiyimana, mais également de passionnés tels que
Luc Germain, l'un des fondateurs de Soma Éditions, Annabelle
Giudice, de l'Institut français du Burundi et d'Ana Tognola, de
l'association Sembura,
ferment littéraire,
ont guidé mes recherches.
La Conférence est à retrouver sur Facebook sur ce lien
La Conférence est à retrouver sur Facebook sur ce lien
Au
cours de mes lectures, un constat s'est rapidement imposé : les
troubles et vicissitudes de l'Histoire constituent bien souvent la
trame choisie par les auteurs burundais. Parmi les pages très
intéressantes que j'ai parcourues, deux romans publiés à la date
symbolique de 2012 ont attiré mon attention : La
Descente aux enfers
d'Aloys Misago (éditions AML) et Baho!
(Vents d'ailleurs) de Roland Rugero. Traitant de deux périodes
tragiques - les massacres de 1972 et les conséquences de la guerre
une dizaine d'années après les affres de 1993 - les romanciers
s'emparent d'une manière bien différente des douleurs du passé
pour rompre les conséquences des silences et des non-dits.
L'écriture
précise et réaliste d'Aloys Misago énonce les ravages d'ikiza,
tentant ainsi de combler un terrible vide. Le romancier conte
l'errance douloureuse de Ndayi aux confins du Burundi et de la
Tanzanie. L'adolescent de quatorze ans, dont le père et les frères
aînés ont été assassinés, est confronté aux massacres auxquels
se livrent impunément les troupes du Président Micombero. Baho!
évoque
la violence qui ronge une communauté villageoise, hantée par les
conséquences de 1993 et de la guerre. Nyamuragi, un jeune muet dont
les parents ont été assassinés, est accusé injustement d'avoir
violé Kigeme. Les étapes de son lynchage, entremêlées aux bribes
de ses souvenirs et des pensées d'une vieille borgne qui suit son
chemin de croix, traduisent le délitement de la société
burundaise.
En
dépit des différences de style et de sujet, des questionnements
identiques sont apparus à la lecture de ces deux ouvrages : quels
mots, quels procédés sont en mesure de traduire des scènes
traumatiques? Comment prendre la parole pour dire des réalités
longtemps tues, qui parfois ne font pas l'objet d'une concorde
nationale? Comment donner sens au passé grâce à la fiction?
Comment construire dans l'espace du roman une mémoire et un
imaginaire communs à tous les Burundais en mettant en scène les
terribles conséquences des clivages «
ethniques » mais également leur dépassement?
Pierre
Boizette, jeune chercheur passionné par la richesse culturelle des
Grands Lacs, a constaté de véritables résonances entre La
Descente aux enfers,
Baho!
et le roman de Scholastique Mukasonga, Notre-Dame
du Nil.
L'idée de la conférence « Burundi, Rwanda au miroir du roman »
était née. Il s'agissait de montrer comment trois auteurs, brisant
les mythes issus de la colonisation qui ont tant fait souffrir les
deux pays, offrent une réflexion à leur public en investissant le
champ de l'imaginaire et du symbolique.
Un
public intéressé et curieux
Au-delà
des divergences très stimulantes, un consensus est apparu,
magistralement formulé par le Professeur Elikia M'Bokolo. Les
différentes formes de création littéraire en kirundi et en
français - qu'il s'agisse du roman, de la poésie, du théâtre ou
encore du slam - sont une véritable chance pour le Burundi. Grâce à
la liberté créatrice se dessine la reconquête d'une Histoire
longtemps confisquée et qui fait sens, Histoire que l'écriture est
chargée d'accueillir, de dire et de transmettre. Au-delà de la
prise en compte du passé, le chatoiement de la parole et de
l'imagination dans le pays de l'ijambo
est
en mesure de porter l'espoir en donnant une représentation aux
questionnements, aux doutes et aux rêves des Burundais.
Reste
désormais à poursuivre les recherches sur la création littéraire
burundaise, en prenant en compte deux paramètres primordiaux : la
diffusion du livre au Burundi et les difficultés que rencontrent les
auteurs désireux d'être édités.
Un
essai qui fera date va bientôt paraître : le Professeur Juvénal
Ngorwanubusa, auteur d'un passionnant roman intitulé Les
Années Avalanche,
s'apprête à publier une anthologie consacrée à la littérature
burundaise. Le CAPDIV compte organiser d'autres événements relatifs
à la richesse culturelle burundaise dans les années à venir. Et à
n'en pas douter, la diversité de la tradition orale, les méditations
subtiles de Michel Kayoya sur les vertus de l'ubuntu
ou
encore le bouillonnement de la jeune garde littéraire burundaise
seront autant d'objets d'étude qui nourriront mes recherches dans
les années à venir.
Deux
entretiens avec Elikia M'Bokolo ont été enregistrés après la
conférence. Ils seront diffusés sur les ondes de RFI en juillet,
dans le cadre de l'émission « Mémoire d'un continent. »
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