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mercredi 26 février 2014

Rencontre avec Dorcy Rugamba : « Je déteste les identités »

Dorcy Rugamba lors de la rencontre avec les élèves
de l’École Belge et du Lycée du Saint Esprit,
durant la Caravane littéraire de decembre dernier
 ©dr
L’écrivain et dramaturge rwandais était au mois de décembre 2013 l’invité d'honneur de la caravane littéraire dédiée aux littératures du Burundi, RDC et Rwanda. Entre impressions et projections sur ce voyage, l'artiste revient sur la question d’identité si présente dans la sous-région. - propos recueillis par Roland Rugero

Trois semaines au Burundi et du Rwanda en parlant littérature, livres, en rencontrant des jeunes. Qu'est-ce qui vous a frappé ?

J’ai été surpris par une rencontre en particulier. Celle avec les élèves du Lycée Saint Esprit. La hauteur des points de vue et la diversité des interventions, très argumentées, étaient assez surprenantes pour des jeunes gens et jeunes filles d’à peine seize ans. Je salue l’équipe des professeurs et l’encadrement de cet établissement pour la qualité de l’enseignement qui y est dispensé. Pour avoir fait d’autres rencontres avec d’autres étudiants, j’avoue que ceux là m’ont beaucoup impressionné. En règle générale, je crois que les écarts entre les niveaux d’instruction d’une école à l’autre, est ce qu’il y a de frappant. Tant au Burundi qu’au Rwanda, ce n’est pas nécessairement dans les établissements d’enseignement supérieur qu’on trouve les étudiants les plus armés intellectuellement.

A propos de ces deux contextes, quelles similitudes, quelles différences ?

Il y a beaucoup de similitudes entre les littératures du Rwanda et du Burundi et une seule différence à mon humble avis, mais fondamentale. Sur un siècle d’écriture contemporaine, les écrivains rwandais et burundais ont quasiment abordés les mêmes thèmes, parfois aux mêmes périodes. Comme si chaque génération d’écrivains sur les deux rives de l’Akanyaru, avait toujours eu le même chantier. Par contre la grande différence réside dans le choix de la langue. Les écrivains burundais ont choisi pour la plupart d’écrire en français alors que leurs homologues rwandais de la même génération optaient pour le kinyarwanda comme langue de création littéraire. Par exemple, il n’y a pas de Michel Kayoya rwandais.

C'est à dire ?

J’entends par là, une grande figure d’écrivain francophone qui soit considéré comme une référence tutélaire comme l’est Kayoya au Burundi. Les trois grandes figures de la littérature contemporaine au Rwanda, que furent Alexis Kagame, Cyprien Rugamba et Aloys Bigirumwami ont tous fait le choix de la langue rwandaise pour leur ouvrages de littérature. Bien qu’ils écrivaient en français aussi, surtout des essais scientifiques, la littérature demeurait la chasse gardée du Kinyarwanda. A l’exception notoire de Xaverio Nayigiziki, c’est surtout chez les écrivains de la diaspora rwandaise qu’on a pu voir des œuvres littéraires en français ou en anglais. En tout cas c’est ce qui a prévalu dans la génération des pionniers. Aujourd’hui, surtout après le génocide, depuis que les débats qui concernent le Rwanda se sont internationalisés, la nouvelle génération d’écrivain rwandais choisit l’anglais et le français pour toucher un large public. Cependant la tradition de la littérature en kinyarwanda demeure, même chez les jeunes écrivains : je lisais récemment le manuscrit du premier roman rwandais « Humura », écrit en langue maternelle par Olivier Bahizi, juste au lendemain du génocide.

Votre présence au Rwanda suscite une ferveur qui va au-delà d'une simple rencontre artistique, principalement grâce à la renommé de feu votre père. Comment le vivez-vous ?

Toujours avec beaucoup d’émotions. Et beaucoup d’humilité bien évidement, envers l’artiste et la figure paternelle. Au café littéraire de Huye préparé par les étudiants de l’université, j’étais très touché de les entendre lire et chanter ses poèmes et témoigner de toute l’affection qu’ils avaient pour lui, sans l’avoir jamais rencontré si ce n’est à travers son œuvre. Comme quoi la littérature peut permettre une rencontre aussi intime que le contact physique. L’art est le plus court chemin de l’homme à l’homme, disait Malraux.

L'ecrivain lors du café-littéraire du 28 novembre 2014
animé par Ketty Nivyabandi
©dr
Au Burundi, vous avez passé une soirée comme invité du café-littéraire Samandari. Qu'est-ce qui vous séduit ? Qu'avez-vous aimé moins ?

J’ai adoré le Samandari, pour la qualité des débats, pour la diversité du public qui le fréquente, qui est de tous âges et de tous les milieux sociaux, j’ai aimé aussi le côté participatif de ce café littéraire qui le rend plus convivial. Je n’ai qu’un souhait, c’est que ce café soit un jour retransmis sur une radio en direct ou à la télé pour que son audience soit élargi et que ceux qui ne peuvent pas se déplacer puissent le suivre de loin. Pensez à nous aussi, qui habitons sur la toile ...

Dans votre travail, vous revenez sur les questions de mémoire et d’identité. Comment envisagez-vous ces deux concepts dans la région des Grands-Lacs où ils ont été d'ailleurs en tension précurseure de violences humaines inouïes ?

En fait je déteste les identités. Le concept d’identité est une chose que je trouve vaine et mesquine. Nous sommes des hommes, et c’est déjà assez chargé comme programme pour une seule vie, je trouve. Le propre de l’homme justement, est de ne pas avoir d’identité, puisqu’il est en perpétuel mouvement, qu’il se cherche en permanence et change sans arrêt, contrairement à l’animal qui lui n’a pas de quête. Chaque être humain est singulier. C’est de cette singularité que l’humanité tire son génie et sa richesse. Si on vous disait que vous êtes identique à tel, fût-il le plus grand des hommes, vous vous sentiriez nié en tant que personne et profondément insulté. Ce serait une insulte à votre intelligence, à votre esprit, à votre histoire, aux différentes expériences que vous avez vécus, bonnes ou mauvaises mais qui vous constituent, une insulte à tous les efforts que vous avez fournis, à tout le mal que vous vous êtes donné pour être l’homme que vous êtes aujourd’hui.

Mais si vous détestez tant les identités, pourquoi écrivez-vous à propos du sujet ?

Pour montrer qu’ils sont très souvent source d’aliénation. Regardez la Centrafrique et cette violence débridée autour de références religieuses. C'est d'une misère morale absolue. Ce que j’essaie d’écrire sur les identités mais qui n’est pas simple à formuler et que nous valons bien plus que les références temporaires du moment présent. Nous sommes tout autant sinon plus définis par le futur. Par nos aspirations et projets à venir, parce que ce sont sont eux qui guident notre action aujourd’hui et donnent une claire définition de qui nous sommes en vérité.

Et la mémoire ?

Elle est importante. Un jour viendra où nos enfants et nos petits enfants voudront savoir quelque chose de toutes ces histoires fumeuses qui se sont passées de notre vivant. C’est important que nous leur laissions des traces fiables de notre époque afin qu’ils puissent avoir des repères. Justement de la violence, vous rappelez souvent qu'elle « commence par les mots » ...

En 2014, entendez-vous d'autres mots que ceux qui génèrent la violence dans les Grands-Lacs ?

C’est une grande question. Bien sûr j’aimerai me dire que tout ça est derrière nous, que nous ne connaîtrons plus jamais la période folle que nous avons connus par exemple au Rwanda avec les médias de la haine. En même temps, il suffit de jeter un coup d’oeil sur internet, sur les sites des différents pays des Grands Lacs pour se rendre compte que cette parole existe toujours et même dans une forme plus outrancière. Quand on lit ça, on se dit qu’il nous faudra peut-être encore quelques générations pour que nous puissions vraiment en parler au passé.

Cette année, le Rwanda commémore les 20 ans du génocide. Quelle serait la place de l'artiste dans ce travail de « veille » ? Quel sera votre apport ?

C’est une bonne occasion pour regarder l’évènement avec la distance que permet ce temps de deux décennies. Le rôle de l’artiste, à mon humble avis est de trouver des formes de représentation du génocide qui aident les survivants au travail nécessaire de deuil sans les désespérer de la vie. Quant à moi, j’ai passé beaucoup d’années, dès le lendemain du génocide à travailler sur ce sujet. En tout, quatre productions. Je suis très heureux que ces travaux existent et ils seront largement montrés au Rwanda durant cette année de commémoration.

Pensez-vous qu'il soit possible de créer dans nos pays dans l'art sans évoquer, revenir sur ceux des nôtres dont la morsure du départ inattendu nous hante toujours ?

Oui c’est évidement possible. C’est même salutaire. Ce serait une autre tragédie si nous n’avions que ça à dire. Je crois que c’est une question d’équilibre. Les sagesses anciennes nous disent qu’il faut une place pour chaque chose. Il y a un temps pour tout dit la Bible. Notre culture ancestrale disait qu’il faut une place pour les défunts (inzu y’indaro) afin qu’ils ne cohabitent pas avec les vivants sinon ils vont les hanter jour et nuit, qu’il faut aussi un temps qui leur est consacré pendant lequel un culte leur est rendu (guterekera) pour qu’une fois ceci accompli les vivants puissent s’occuper des vivants l’âme en paix et le cœur léger. Je pense que c’est la même équation pour l’artiste. Il vaut mieux rendre un culte aux défunts dans son travail artistique et avoir une œuvre ou plusieurs qui fasse office de sa propre case de veille dédiée aux défunts pour pouvoir se libérer de ce sujet et laisser libre cours à son inspiration une fois ce devoir accompli.

Et si vous suggériez trois ouvrages à lire aux lecteurs des pages littéraires, en ce début d’année ?

Je recommande le livre d’Amin Maalouf « Les identités meurtrières » c’est un essai magistral pour pousser plus loin la réflexion sur les identités. Et il en sait quelque chose, Maalouf lui qui vient d’un pays, le Liban où il y a plus de seize identités religieuses. En deuxième, je suggère de redécouvrir l’écrivain Amiri Baraka qui vient de décéder, je pense à son livre « Le Peuple du Blues » qu’il avait écrit sous le nom de Le Roi Jones. Comme nous avons évoqué la violence dans les Grands Lacs, je recommande la pièce qu’Aimé Césaire a consacré à Lumumba « Une saison au Congo»

Quels sont vos projets actuels, futurs ?

Je suis en train d’écrire une série médicale pour la télévision et je commence le troisième volet de ma trilogie sur l’économie de marché, constitué de «Market Place», « Gamblers » et donc d’une troisième pièce dont je ne connais pas encore le titre. 

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