Comment est-ce que le contexte politique influence-t-il le travail littéraire ? Dans ce texte présenté dans la bibliothèque de la ville d’Iowa City, l’écrivain Roland Rugero parle du cas du Burundi.
L'écriture devient alors, ici, une urgence. De transcrire la mémoire de nos grands-parents qui, un à un, s'éteignent, qui d'avoir trop vécu, qui de vivre désormais mal.
Elle devient urgence, un appel à témoin, le lecteur, à communion, celle d'un peuple qui, sous ses multiples identités, a vécu les mêmes bêtises, les mêmes barbaries, les mêmes questions.
Mémoire et identité.
La
discussion avait été longue. Belle. Là, dans cette Suisse
italophone où le Babel Festival tenait édition sur les nouveaux
écrivains de l'Afrique,
je venais du Burundi. Il, Dorcy Rugamba, était du Rwanda.
Dramaturge, acteur, metteur en scène, rescapé d'un génocide de
1994 qui emporta sa famille. Il me disait, pourtant : "On
ne peut pas nous définir que par notre souffrance, sinon elle risque
de devenir notre identité, à la fin "
...
Plus
tard, nous nous retrouvions à Genève, à la Maison Rousseau et de
la Littérature, pour discuter sur les défis de la "mémoire
vive" dans nos travaux respectifs.
Identité
et mémoire.
Je
viens d'un pays où, à l'école, à l'Université, on n'apprend rien
de l'histoire du Burundi entre 1962 et nos jours, si ce n'est le jour
où la nième République apparut. Ou la date de tel assassinat. Ou
les coordonnées de telle signature d'Accord, de convention, de
cessez-le-feu ...
Cinquante années et plus résumées par des dates froides. Dangereux, impossible d'intercaler le commentaire, d'expliquer le pourquoi, le qui, le comment des tragédies, des événements. Une histoire sur laquelle on passe vite, presqu'avec gêne, perpétuant encore et encore le non-dit au nom de l'impératif du "ntakuzura akaboze" - il ne faut pas déterrer ce qui est pourri.
Cinquante années et plus résumées par des dates froides. Dangereux, impossible d'intercaler le commentaire, d'expliquer le pourquoi, le qui, le comment des tragédies, des événements. Une histoire sur laquelle on passe vite, presqu'avec gêne, perpétuant encore et encore le non-dit au nom de l'impératif du "ntakuzura akaboze" - il ne faut pas déterrer ce qui est pourri.
Sauf
que cette "pourriture" est à un peuple ce qu'est le fumier
au champ : sans elle, le pays risque de rester barricadé dans ses
"identités meurtrières", dans ses
commémorations-vengeances, dans sa mémoire-vindicative … Sans
elle, le pays croit mal, en oubliant ses racines.
Sans cette "pourriture", la jeunesse n'a cesse de tout remettre en cause, parce qu'elle manque de référent, parce qu'elle veut comprendre, parce qu'elle se demande comment, pourquoi et qui a fait qu'elle hérite d'une histoire aussi triste. Comme ce nourrisson dans l'Enfant et le Sourire1.
Sans cette "pourriture", la jeunesse n'a cesse de tout remettre en cause, parce qu'elle manque de référent, parce qu'elle veut comprendre, parce qu'elle se demande comment, pourquoi et qui a fait qu'elle hérite d'une histoire aussi triste. Comme ce nourrisson dans l'Enfant et le Sourire1.
L'écriture devient alors, ici, une urgence. De transcrire la mémoire de nos grands-parents qui, un à un, s'éteignent, qui d'avoir trop vécu, qui de vivre désormais mal.
Elle devient urgence, un appel à témoin, le lecteur, à communion, celle d'un peuple qui, sous ses multiples identités, a vécu les mêmes bêtises, les mêmes barbaries, les mêmes questions.
L'écriture
devient témoignage, de nos temps. De nos luttes, notamment face à
l'Entre
deux mondes annoncé
il y a quarante ans par l'abbé Michel Kayoya2,
celui de la tradition et du contemporain.
Mémoire et identité.
Mais
alors au-delà de la possible et récurrente confusion entre mémoire
et Histoire, un doute surgit : et si, en répétant ce qui s'est
passé, on participait à répéter les mêmes mots qui nous ont
endeuillés, puisque, comme me le rappelait encore Dorcy, "la
mort dans nos pays, avant d'être physique, était symboliquement
portée par les mots ?"
Mots
détournés, mots à double-sens, mots-couverts, mots-couleuvres,
mots-violence, mots-kirundi ?, mots-français ?, mots-nous ?,
mots-eux ? ...
Ces mots : à force de ressasser avec notre histoire immédiate ou lointaine, de les redire, de les écrire, de les jouer, de les lire, de les chanter, nous risquerions de perpétuer le même mal de division et d'égoïsme que ce que nous prétendions, au départ, dénoncer, mettre à nu.
Ces mots : à force de ressasser avec notre histoire immédiate ou lointaine, de les redire, de les écrire, de les jouer, de les lire, de les chanter, nous risquerions de perpétuer le même mal de division et d'égoïsme que ce que nous prétendions, au départ, dénoncer, mettre à nu.
Et
c'est ici, présentement, que surgit le chantier dans toute sa
complexité : créer un nouveau langage.
Faire
en sorte que l'écriture participe à former une autre manière de
raconter la vie. Avec des mots-nouveaux, qui parlent d'une destinée
commune, coûte que coûte, qui permettent d'assurer le passage
entre-générations, entre celles de nos parents, muets de souffrance
et de culpabilité, et la nôtre, fiévreuse de questions et avide de
voyager.
L'écrivain est alors un passeur. Il n'a pas de mission de guérir, ni de soulager.
Juste celle de créer des mots nouveaux.
L'écrivain est alors un passeur. Il n'a pas de mission de guérir, ni de soulager.
Juste celle de créer des mots nouveaux.
Voici,
Messieurs et Mesdames, dans son rugueux costume sentant l'eucalyptus
et les vallées enfumées du pays des tambours sacrés, l'un des grands défis de
la cité du Burundi.
1Anthologie
"Émergences - Renaître
ensemble" (Sembura, 2011),
texte primé par la médaille de bronze aux VIèmes Jeux de la
Francophonie à Beyrouth (2009)
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