Le
28 août dernier, les députés burundais adoptaient à l’unanimité
un projet de loi fixant la politique linguistique du pays. Pour
comprendre la portée du texte, rencontre avec le jésuite et
linguiste Guillaume Ndayishimiye Bonja.
Pourquoi
est-il nécessaire d'avoir une politique linguistique au Burundi ?
Il y'a pour plusieurs raisons : en octobre 2007, le Gouvernement du Burundi a adopté un document de politique culturelle qui prévoyait une politique et un aménagement des quatre langues utilisées au Burundi (le kirundi, le français, l’anglais et le swahili). Dans ce document, le gouvernement reconnaissait la nécessité de définir « une politique linguistique claire du Burundi indiquant notamment les actions à entreprendre pour une meilleure utilisation du kirundi au niveau de l’enseignement. »
Ensuite,
l’adhésion du Burundi à la communauté des pays de l’Afrique
orientale nous a engagé dans une géopolitique où l’anglais est
langue
officielle et de travail, le swahili comme langue de travail. Par
ailleurs, l’article 5 de la Constitution de la République du
Burundi prévoit que: « La
langue nationale est le kirundi. Les langues officielles sont le
kirundi et toutes autres langues déterminées par la loi ».
Jusqu’aujourd’hui, ces autres langues n’ont pas été
déterminées, d’où la nécessité d’une prise de position
juridique pour combler cette lacune. Bien que le français serve de
langue de communication internationale, sa reconnaissance comme
langue officielle n’est plus reprise dans l’actuelle
Constitution.
Il
y'a aussi des questions au niveau de l'enseignement …
Évidemment. La décision d’enseigner quatre langues à partir de la première année pose des problèmes tant au niveau de l’enseignement (la qualification des enseignants) que de l’apprentissage (les apprenants confondent les langues et ne les apprennent pas bien). Une politique linguistique devait échelonner l'apparition des différentes langues dans le cursus. Il ne faut pas oublier que l’Union Africaine a recommandé par ailleurs une politique linguistique pour chaque pays au cours de sa 22ème session ordinaire tenue à Addis-Abeba, du 28 au 30 juillet 1986. Enfin, une politique linguistique rejoint la préoccupation de l’UNESCO de protéger les cultures, le multilinguisme et les langues maternelles comme patrimoine de l’humanité.
Comment
est né le texte voté par les députés ? Quels ont été les
apports les plus constructifs ?
Une
politique culturelle du Burundi a été adoptée en octobre 2007. En
2011, une étude sur la politique linguistique a été réalisée
par trois consultants, sur la commande conjointe de la Maison de
l’Unesco au Burundi et le Ministère ayant la Culture dans ses
attributions. Le gouvernement a été intéressé par le document de
politique linguistique du Burundi ainsi qu’un plan d’action
subséquent qui prévoyait entre autres une loi sur les langues
officielles, la relance de l’Académie Rundi, la normalisation de
l’orthographe du kirundi, la protection du kirundi par la
production d’œuvres littéraires et la recherche terminologique.
Le texte voté par les députés précise les langues officielles, le
Kirundi, le Français et l’Anglais. Il prévoit les langues
véhicule du savoir et les langues à enseigner. Il projette des
actions à mener ultérieurement pour des aménagements
linguistiques.
En
tant qu’éducateur et linguiste, quelles seront les capacités
d'expression d'un jeune Burundais dans 20 ans ?
Cela dépendra de l'agressivité dans la mise en œuvre de la politique linguistique. Je suis plutôt pessimiste au vu des moyens à mettre en œuvre et le peu de zèle que je vois chez mes compatriotes. Mais il ne faut pas désespérer. Que les enseignants éducateurs, les parents, les aînés, les médias et les décideurs politiques nous y aident !
Est-ce que cette loi ne vient pas fragiliser la position du kirundi dans certains domaines d'expression, comme l'administration où le français régnait ?
Notre langue maternelle n’avait rien à perdre. Il était la seule langue officielle mais le français le supplantait déjà, car le français a été déjà langue officielle dans des Constitutions précédentes. Il fallait donc une action dynamique en faveur du kirundi peut retourner la vapeur. Le texte vient réveiller notre conscience et notre patriotisme. Il faut d’autres actions pour soutenir le kirundi et le défendre de l’envahissement des autres langues, et surtout de la langue hybride des jeunes et des intellectuels. La production d’industries linguistiques et littéraires peut aussi sauver le kirundi. Il faut une politique qui promeuve cela ainsi que la création littéraire et terminologique.
A
côté de cette loi, quels sont les initiatives en cours pour
sauvegarder le patrimoine littéraire national, en kirundi ?
Il y a notamment la relance de l’Académie Rundi qui aura notamment une telle tâche de sauvegarde. Il y a aussi des productions littéraires, comme les pièces et les feuilletons des auteurs comme Madame Marie Louise Sibazuri et d’autres. Le feuilleton « Ni nde ?» est aussi un exemple de sauvegarde de la langue. Un certain nombre de livres a été publié. Des recherches sont en cours. Il faudra aussi des anthologies rundi du genre de Ntahokaja ou de Rodegem. Je connais un lexique des termes juridiques. Je suis en train d’élaborer un dictionnaire de locutions en kirundi. Mais il faudra d’abord standardiser l’orthographe.
Quelques
nouveaux mots que vous pourriez proposer dans un dictionnaire
Kirundi-Kirundi aujourd'hui ...
Je
propose par exemple Umusásiramáteeká
pour dire parlementaire,
umushíingamáteeká
(député), umukéenguuzamáteeká
(sénateur), « igitsibágane,
igisobáangane »
pour « embouteillage », « akadúunduúri,
akadúundiko »
pour « dos d’âne » …
Propos
recueillis par Roland Rugero
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