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dimanche 30 novembre 2014

« La politique linguistique vient réveiller notre patriotisme »


Le 28 août dernier, les députés burundais adoptaient à l’unanimité un projet de loi fixant la politique linguistique du pays. Pour comprendre la portée du texte, rencontre avec le jésuite et linguiste Guillaume Ndayishimiye Bonja.

Le Père Guillaume Ndayishimiye Bonja, recteur du Lycée du Saint-Esprit,
professeur à l’Université et représentant légal 
des Jésuites au Burundi
a aussi été membre de la Commission 
interdisciplinaire qui a rédigé
le texte de la politique 
linguistique nationale ©Iwacu

Pourquoi est-il nécessaire d'avoir une politique linguistique au Burundi ?

Il y'a pour plusieurs raisons : en octobre 2007, le Gouvernement du Burundi a adopté un document de politique culturelle qui prévoyait une politique et un aménagement des quatre langues utilisées au Burundi (le kirundi, le français, l’anglais et le swahili). Dans ce document, le gouvernement reconnaissait la nécessité de définir « une politique linguistique claire du Burundi indiquant notamment les actions à entreprendre pour une meilleure utilisation du kirundi au niveau de l’enseignement. »
Ensuite, l’adhésion du Burundi à la communauté des pays de l’Afrique orientale nous a engagé dans une géopolitique où l’anglais est langue officielle et de travail, le swahili comme langue de travail. Par ailleurs, l’article 5 de la Constitution de la République du Burundi prévoit que: « La langue nationale est le kirundi. Les langues officielles sont le kirundi et toutes autres langues déterminées par la loi ». Jusqu’aujourd’hui, ces autres langues n’ont pas été déterminées, d’où la nécessité d’une prise de position juridique pour combler cette lacune. Bien que le français serve de langue de communication internationale, sa reconnaissance comme langue officielle n’est plus reprise dans l’actuelle Constitution.

Il y'a aussi des questions au niveau de l'enseignement …

Évidemment. La décision d’enseigner quatre langues à partir de la première année pose des problèmes tant au niveau de l’enseignement (la qualification des enseignants) que de l’apprentissage (les apprenants confondent les langues et ne les apprennent pas bien). Une politique linguistique devait échelonner l'apparition des différentes langues dans le cursus. Il ne faut pas oublier que l’Union Africaine a recommandé par ailleurs une politique linguistique pour chaque pays au cours de sa 22
ème session ordinaire tenue à Addis-Abeba, du 28 au 30 juillet 1986. Enfin, une politique linguistique rejoint la préoccupation de l’UNESCO de protéger les cultures, le multilinguisme et les langues maternelles comme patrimoine de l’humanité.

Comment est né le texte voté par les députés ? Quels ont été les apports les plus constructifs ?

Une politique culturelle du Burundi a été adoptée en octobre 2007. En 2011, une étude sur la politique linguistique a été réalisée par trois consultants, sur la commande conjointe de la Maison de l’Unesco au Burundi et le Ministère ayant la Culture dans ses attributions. Le gouvernement a été intéressé par le document de politique linguistique du Burundi ainsi qu’un plan d’action subséquent qui prévoyait entre autres une loi sur les langues officielles, la relance de l’Académie Rundi, la normalisation de l’orthographe du kirundi, la protection du kirundi par la production d’œuvres littéraires et la recherche terminologique. Le texte voté par les députés précise les langues officielles, le Kirundi, le Français et l’Anglais. Il prévoit les langues véhicule du savoir et les langues à enseigner. Il projette des actions à mener ultérieurement pour des aménagements linguistiques.

En tant qu’éducateur et linguiste, quelles seront les capacités d'expression d'un jeune Burundais dans 20 ans ? 

Cela dépendra de l'agressivité dans la mise en œuvre de la politique linguistique. Je suis plutôt pessimiste au vu des moyens à mettre en œuvre et le peu de zèle que je vois chez mes compatriotes. Mais il ne faut pas désespérer. Que les enseignants éducateurs, les parents, les aînés, les médias et les décideurs politiques nous y aident !

Est-ce que cette loi ne vient pas fragiliser la position du kirundi dans certains domaines d'expression, comme l'administration où le français régnait ? 

Notre langue maternelle n’avait rien à perdre. Il était la seule langue officielle mais le français le supplantait déjà, car le français a été déjà langue officielle dans des Constitutions précédentes. Il fallait donc une action dynamique en faveur du kirundi peut retourner la vapeur. Le texte vient réveiller notre conscience et notre patriotisme. Il faut d’autres actions pour soutenir le kirundi et le défendre de l’envahissement des autres langues, et surtout de la langue hybride des jeunes et des intellectuels. La production d’industries linguistiques et littéraires peut aussi sauver le kirundi. Il faut une politique qui promeuve cela ainsi que la création littéraire et terminologique.

A côté de cette loi, quels sont les initiatives en cours pour sauvegarder le patrimoine littéraire national, en kirundi ?

Il y a notamment la relance de l’Académie Rundi qui aura notamment une telle tâche de sauvegarde. Il y a aussi des productions littéraires, comme les pièces et les feuilletons des auteurs comme Madame Marie Louise Sibazuri et d’autres. Le feuilleton « Ni nde ?» est aussi un exemple de sauvegarde de la langue. Un certain nombre de livres a été publié. Des recherches sont en cours. Il faudra aussi des anthologies rundi du genre de Ntahokaja ou de Rodegem. Je connais un lexique des termes juridiques. Je suis en train d’élaborer un dictionnaire de locutions en kirundi. Mais il faudra d’abord standardiser l’orthographe.

Quelques nouveaux mots que vous pourriez proposer dans un dictionnaire Kirundi-Kirundi aujourd'hui ...

Je propose par exemple Umusásiramáteeká pour dire parlementaire, umushíingamáteeká (député), umukéenguuzamáteeká (sénateur), « igitsibágane, igisobáangane » pour « embouteillage », « akadúunduúri, akadúundiko » pour « dos d’âne » …

Propos recueillis par Roland Rugero

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