Pour
ses débuts littéraires,
le jeune auteur signe un excellent recueil poétique, tout en colère,
tout en douceur, tout en humanité. La revue de l’œuvre par Ketty
Nivyabandi.
“Parfois
Nous
mourrons dans mon pays
Parfois
nous vivons
Souvent
les deux
En
même temps
Et
de la même façon
Pendant
longtemps
Pendant
des années, et des années
Et
des générations.”
Écrit
principalement en anglais, mais dans un mélange éclectique de
langues, typique du parlé de Bujumbura, These
are no prayers est
un exceptionnel retentissement des voix urbaines, un témoignage
précieux sur une période charnière et concave du Burundi.
These
are no prayers,
est le titre du recueil de poésie d’Adams Sinarinzi. Un titre
avertissement : « Ceci ne sont pas des prières. »
Ceci
n’est point de la poésie
non plus, ajoute l’auteur une page plus loin dans son prologue.
Et
pourtant… Rare est-il de trouver une collection de textes plus
stridente, plus fervente que celle-ci, parue il y a quelques semaines
à compte d’auteur.
A
la fois coup de gueule et sanglot, époustouflant de finesse et
d’acuité,
c’est
le regard d’un jeune murundi qui, à travers chaque vers, interroge
sa société, sa bulle d’air, son peuple, ses amis, son quartier,
ses parents, vous et moi, mais avant tout, lui-même.
Et
c’est précisément cette vulnérabilité désarmante, ce choix de
se déshabiller et se dévoiler entier, confus et désemparé dans un
système qui lui offre peu de choix, qui donne à cette collection
toute sa force et son souffle.
Dans
son dernier et plus lyrique poème, « Song
of myself »
une reprise du colossal poème classique de l’Américain Walt
Whitman, Adams Sinarinzi s’écrie :
« La
douleur de mon peuple
m’a
intoxiqué
bien
sûr il n’est pas le Moi Moi-Même
Et
pourtant je pleure aujourd’hui, et si je pleure de tout mon saoul
Il
est l’unique raison
Tout,
voilà pourquoi » (Song of Myself)
Audacieux,
Sinarinzi ne s’autorise aucun tabou. Parmi les multiples thèmes
abordés l’on retrouve le néo-colonialisme ambiant sous le masque
contemporain du développement (le drôle et perspicace ‘Appel
d’offre’
est à lire absolument). Mais aussi le matérialisme de jeunes
professionnels de la cité, cravatés d’arrogance et d’emplois
juteux. Et aucune fausse pudeur envers l’intouchable génération
des anciens
« nos
vieux se dérobent / se cachent dans l’illusoire espoir/[…]
pendant que se consume le pays/Ils sont chez Gérard » (Y’en
a marre).
Au
fil de ce long regard minutieux, c’est toute une société qui est
scrutée, retournée, en quelques vers aux allures désinvoltes.
Un
témoignage éloquent, perspicace et essentiel pour comprendre ce qui
se trame dans les entrailles d’une nation profondément meurtrie,
les gémissements d’un peuple qui porte sa tète lourde entre ses
deux mains. Et de sa jeunesse en quête de repères.
Car
si Adams s’indigne des maux ‘classiques’ de sa société
(pauvreté, mauvaise gouvernance, corruption) c’est son aptitude à
trouver les mots pour exprimer l’inexprimable qui le distingue.
Ces
autres maux, plus vicieux et plus périlleux, et dont les
statistiques ne parlent pas. Une peur diffuse,
qui pourtant ‘règne
dans le ventre de tout un peuple’.
Une jeunesse qui sent coupée de ses ailes. Une société ou rêver
n’est pas un droit mais une hérésie, un combat. Un sentiment
ambiant entre la frustration, la mélancolie et le désespoir que
l’auteur résume parfaitement dans son texte ‘Le
spleen de Buja’.
Dans
un style épuré, autant poignant que flegmatique, Adams Sinarinzi
réussi à retranscrire l’indicible. Et il le réussi avec brio
parce que l’on tâte, dans ces interrogations non pas un
questionnement accusateur, mais une grande humilité, un désir
profond et authentique de se comprendre. Il bouleverse parce que le
lecteur se reconnaît dans ce miroir tendu vers lui, avec compassion
et fraternité.
C’est
ce voyage dans les ‘caves’ de son peuple tout en gardant le recul
essentiel du poète qui est particulièrement remarquable pour cette
première collection. Une dualité présente tout au fil de ces
quarante-quatre fragments de finesse et de poésie. Adams est à la
fois celui qui souffre avec son peuple et celui qui l’observe et le
décrit.
« Ce
pays n’a plus rien pour beaucoup
Sinon
ce sanglot lyrique
Une
mélancolie qui mène vers l’abîme »
Tout
ceci pourrait porter à croire à une lecture sombre, prostrée de
désespoir. Il n’en est rien. Car si ces points d’interrogations
sont lancés vers le ciel « gris » du Burundi, ils ne
laissent ni amertume ni désarroi sur leur trajectoire. Ces
indignations, émouvantes d’humanisme et de sincérité, se lisent
plutôt comme un appel à introspection, à mieux s’entrevoir,
mais aussi une invitation à affronter et gérer cette vision
diffuse.
Car
au fond, celui qui s’indigne est celui qui rêve encore, celui qui
croit qu’un lendemain meilleur est encore possible, et qui le
revendique. C’est un peu celui qui nous tend la main et nous
dit allons, nous ne pouvons pas tomber si bas, venez, croyons
ensemble, et surtout pratiquons notre croyance. La quête sans doute
utopique mais nécessaire vers un équilibre et une harmonie, qui
habite tout poète.
Un
cri d’alarme et de détresse, parfois déguisé en détachement
(‘j’écris
sans conviction, sans engagement »
nous leurre t-il), mais « These
are no prayers »
ce sont aussi des textes d’une savoureuse tendresse, des éclats
de félicité, de bonheur exquis, souvent au carrefour d’une
rencontre, ou au pied d’un amour goûté, deviné, espéré...
La
majorité de ces textes ont été écrits entre 2012 et 2013, dans
une période de profonde méditation. Lors de la sortie de son
ouvrage ce 17 juillet dernier, au café-littéraire Samandari (à qui
l’œuvre est d’ailleurs dédiée), Adams rappelle vite que ces
poèmes ne représentent qu’une partie de ce qu’il est, un moment
de son parcours, capturé, figé sur papier. Mais que son cheminement
continue, souvent vers des clairières bien plus lumineuses.
C’est
dans tous les cas un tour de force pour ce vieux poète de 27 ans,
épris de Whitman, d’Edward Said, de W.B. Yeat comme de Darwich.
Une nouvelle et éloquente voix qui s’impose dans l’étroit
univers littéraire burundais, et qui s’imposera certainement sur
une plus grande scène également.
Un
remarquable élan de rage et d’humanisme, dans une élégance
résolument masculine et une sensibilité à fleur de peau.
Il
est à lire de toute
urgence.
Génial! il s'achète à combien?
RépondreSupprimerPlutôt il s'achète où, because i'm late on this one and i need it right now
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