Poète, nouvelliste et journaliste burundais, Thierry Manirambona répond lui aussi à la question "Que veut dire écrire en français ?", en s'intéressant au processus de fabrication de l'écrit en français : « Le travail est exigeant, une exigence doublée, triplée par la perspective de milliers d'yeux qui vont lire le texte publié, édité ».
Dans
un pays où la lecture n’est pas un évènement
fréquent et où la pratique du français est bousculée par
l’apprentissage d’autres langues, il n’est pas très difficile
de prédire l’avenir d’un texte littéraire écrit en français
et encore moins du sort de son auteur.
Ceci
est une réalité au Burundi, et au Rwanda. En dehors de ces pays, la
situation change. Loin des frontières, il est des textes, d’auteurs
burundais ou rwandais, écrits en français, qui font leur chemin
jusque loin. Le roman Notre-Dame
du Nil,
pour lequel l’écrivaine rwandaise Scholastique Mukasonga a obtenu
mercredi 7 novembre 2012 le Renaudot est un bel exemple. Mais que se
passe-t-il quand l'auteur manque la notoriété que confèrent ces
honneurs venus de Paris ?
Le
livre et le café, des produits de luxe
Un
livre coûte doublement cher, au Burundi : aussi bien pour le
produire
que pour l'acquérir.
Aux affres d'une édition qui exige un véritable parcours de
combattant, l'auteur se retrouve devant un lectorat burundais
(maigre) qui hésite à dépenser pour un produit
de luxe,
dont il peut bien se passer surtout par les temps qui courent. Se
nourrir, se soigner, s'habiller, les priorités sont claires dès le
début. Or, lire, c’est d’abord chercher un livre (l'acheter,
l'emprunter, ...)
Lirait-on
plus au Burundi si le livre était gratuitement distribué à la
sortie du marché ? Ce n’est pas sûr. Car lire
demande aussi un investissement personnel important : son temps, une
énergie cérébrale (comprendre la langue, saisir le sens et le
mouvement du récit…) que la plupart ont tôt fait de préserver.
Comment en serait-il autrement si, dès l'enfance, cette culture
du livre
n’existe pas ? Contrairement à ce que l’on peut constater
dans les pays anglophones qui nous entourent : acheter le
journal le matin à Kampala est un geste naturel. Et acheter un petit
roman qu’on va lire pendant le voyage est aussi normal au Kenya
qu’écouter la radio au Burundi. Comme il est rare de voir un
Burundais moyen boire du café, réservé
aux Blancs,
aussi est-il exceptionnel de voir un Burundais lire le soir en
rentrant du travail.
Le
français, une langue « compliquée »
Ajoutons
à cela le fait qu'écrire
en français est exigeant, une exigence doublée, triplée par la
perspective de milliers d'yeux qui vont lire le texte publié, édité.
Cela demande un travail important : la grammaire, le style et tous
ces petis détails d’ordre linguistique auront fait pester plus
d'un. Et il n’est pas rare, au Burundi, de tomber sur un texte dont
l’auteur ne ménage pas du tout Maurice Grévisse et sa rigueur.
L’enseignement et la pratique du français qui seront mis en
question.
La
lecture étant irrégulière et l’écriture hésitante, il est
évident que le texte français produit dans un tel contexte ne fera
pas le tour du monde.
Mais
si l’agriculteur burundais ne boit jamais du café considéré
comme un
produit de luxe
au Burundi, il a quand même intérêt à bien entretenir son caféier
sachant que de la vente du café participe
à sa vie
… Ainsi, celui qui entend écrire
en français,
au Burundi, a-t-il intérêt à s'engager en connaissance de cause.
Et en n'oubliant pas que l'anglais, avec ses valeurs, participe à
retrécir encore plus son marché.
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