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Café Littéraire. Espace ou naissent et se croisent toutes formes d'écrits: slams/poésie/contes/nouvelles/romans/théâtre. Tous les jeudis de 18h à 20h au CEBULAC (Burundi Palace, 1er étage), en plein centre de Bujumbura. Entrée libre et gratuite.

mardi 17 août 2010

UNE RUE, de Annabelle Giudice

Annabelle GIUDICE

Elle marche encore une fois. Elle marche seule à nouveau. Elle marche pieds nus sur les trottoirs étroits des rues d’Ivry. Une fois encore, c’est le trottoir de Paris qui la recueille, un peu folle, les yeux hagards et rougis. Elle marche sans ses maudites chaussures qui lui blessent les pieds, elle marche toujours en direction du retour, d’une maison, une encore qui n’est pas la sienne. Chacun de ses pas, c’est un peu du bitume qui s’incruste dans la corne de son talon. Il lui faut bien ça pour revenir à la réalité. Elle bat le pavé, elle trace et se trace un chemin noir et rouge. Elle bat le pavé pour remettre son cœur en marche et inscrire chaque nouvelle avancée, continuer à être debout et s’en convaincre, se le graver sur les pieds et dans la douleur. Rien, elle ne voit rien d’autre que le bitume, le même toujours, noir, gris et sale, rien de plus brut comme rappel à la réalité. Et elle marche. Toujours dans la même direction. Elle ne pouvait que marcher pieds nus, libérés. La douleur était trop forte. Douleur aux pieds. Douleur au cœur. Elle avait bien reconnue cette rue tout à l’heure, proche du boulevard Montparnasse, ce bistrot lui disait bien quelque chose. Et elle s’est souvenue.

***

Quelle ironie. Ce cinéma à deux pas de cet hôtel. Cet homme-ci si proche de cet homme-là au delà des frontières de l’espace temps, dans l’espace de mon cœur et au rythme de mes sentiments.

***

Deux mois auparavant, elle rentrait de là-bas, et elle ne savait plus si elle rentrait chez elle ou si elle en était partie. Le choc était rude, entre Afrique et Occident, c’étaient toutes les déchirures, les paradoxes et les absurdités qui lui sautaient dessus, comme un chien méchant qui l’aurait mordu au visage ; bienvenu dans ton pays. Encore heureux, il faisait beau. Mais son rendez-vous avait manqué, et elle errait dans les rues de Paris. Une ville inconnue, anonyme, parcourue de couleurs et d’oppression froide. Autour d’elle, des visages gris et fermés, des yeux fous, un monde dans lequel elle ne reconnaissait plus rien, ou dans lequel elle ne voulait alors rien reconnaître. Et lui. Il était là à Paris ! Lui c’était cet homme rencontré et aimé si vite, c’était toute la folie, tout l’équilibre, c’était aussi son pays, sa couleur, sa chaleur. Elle descendit tout le boulevard pour trouver une carte téléphonique et la cabine qui allait avec. Elle enjamba même les barrières du chantier pour atteindre enfin sa voix au bout du combiné.
« - Allô ?
- Allô ?
- C’est toi ?
- Oui ?
- C’est moi !
- Mais oui, ce ne peut-être que toi !
- Il faut qu’on se voit… tout de suite !
- Heu... d’accord! On se rejoint à la bouche de métro Denfert-Rochefeau.
- D’accord, je t’attendrai dehors, à la sortie…
- Dans un quart d’heure.
- Tout de suite. »
Elle n’avait pas pris le temps de réfléchir ni même de respirer. Elle repassa les barrières de chantier et chercha avec frénésie la station de métro la plus proche. Rien ne pouvait être meilleur que de le voir. C’était cela ou ne pas reprendre son souffle, il fallait respirer à nouveau. Entrer dans la bouche de métro, un coup d’œil rapide vers le plan pour ne pas manquer la bonne ligne ou le bon arrêt. Vite. Impatiente, elle est debout sur le quai, les bras croisés, les yeux partout et nulle part. Un jean emprunté à une amie. Une chemise dans les gris-vert, des bottines de cuir, et ses cheveux tressés. Quelle drôle d’allure. Emmitouflée dans sa veste noire, en contraste avec ses tresses rouges qui tombent jusqu'à la cambrure de son dos, on dirait un oiseau blessé. Ses yeux bleus, verts, gris, on ne sait plus bien. Les tresses rendent son visage plus doux, plus tendre ou attendrissant, allez savoir, elle ne se reconnaît pas dans les vitres des wagons, ce n’est plus le même visage qu’il y a trois mois. Le métro approche. Les portes se referment derrière son impatience. Quatre arrêts, un changement et deux arrêts plus tard, vite. Sortir. Courir. Et monter les marches. Rien. Personne n’attend. Elle est la première au rendez-vous, comme souvent. Elle prend son mal en patience et attends, dans l’air frais du printemps parisien. Quelques feuilles commencent à pointer sur les branches noircies de pollution des arbres de l’avenue. Des bancs, des arbres et des avenues. Elle surveille chacune des bouches de métro, d’un côté puis de l’autre, chacun des passants est précisément observé, et le regard se détourne. Non, ce n’est pas lui. Et puis, un bonnet. Peu de Français portent encore des bonnets une fois venu le printemps. Un bonnet et un livre dans la main. Plus de doute, c’est lui, forcément. Et les bras qui l‘accueillent. Ils prennent un café à la table d’un bistrot un peu plus loin. A cette table, l’homme l’embrasse en public pour la première fois « parce que décidément tu es trop belle ». Puis il l’amène à son hôtel. Ou peut –être que c’est elle qui insiste pour y aller, on ne sait plus bien… Cet hôtel. Celui là devant lequel elle s’est retrouvée aujourd’hui, nue pour la deuxième fois, revenue encore d’un long voyage, revenue d’un ailleurs. Ces ailleurs construits tant dans l’imaginaire que dans le cœur, ces mirages d’amour et ces bonheurs inventés. Et c’est comme une claque que la petite histoire nous rend, histoire de petite fille : rien ne reste une fois l’amour consommé, rien ne reste des amours dépassés.

***

Son corps, le passé, la blessure. Son souvenir, son sourire, la plaie. Et entre les deux une rue. Seulement une rue. Alors que Paris en compte tant. Une rue seulement. Elle a échoué sur le banc, une âme dépitée qui ne semblait exister que dans le reflet que lui renvoyaient les fenêtres du hall d’entrée de l’hôtel. Que faut-il retenir de nos vies, les faits bruts ou les reflets du cœur et des esprits ?

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5 commentaires:

  1. Très belle nouvelle! Est-ce une fiction? Si non, pourrions-nous savoir quel est ce pays où les hommes ont la chaleur et la beauté de leurs terres?
    Vous évoquez aussi "d'un ailleurs" duquel viendrait le personnage central de votre roman... Ailleurs rêvé? Ou autres espaces, dans lequel le contraste avec ce pays de l'Afrique est tellement profond qu'il marquerait un passage d'une vie à une autre, une nouvelle naissance, "nu pour la deuxième fois"...

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  2. Réponse à umuntu.
    Merci pour le commentaire, on ne sait jamais vraiment comment nos mots sont lus, et les critiques sont une aide précieuse.
    Pour répondre en toute sincérité, si j'ai proposé à Samandari de publier cette courte nouvelle, c'est que je parle du Burundi.J'y ai passé quelques mois cette année, et peut-être que le pays m'a inspiré.
    Vous avez vu juste : je raconte effectivement une nouvelle naissance, et certainement que nous en avons plusieurs tout au long de nos vies. Alors ficition ou réalité, quelle importance, l'imaginaire est aussi un chemin à emprunter.

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  3. Bonjour,je viens de lire votre nouvelle(et je l'adore).Mais je dois avouer que je reste sur ma faim,peut être n'ai je pas très bien compris la fin (problème de français?)..ou peut être que je m'attendais à une fin heureuse..Et puis je ne peux m'empêcher de me poser la question "fiction ou réalité ou même autobiographie "?

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  4. Et j'ajouterais que votre nouvelle est "merveilleusement triste"

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