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Café Littéraire. Espace ou naissent et se croisent toutes formes d'écrits: slams/poésie/contes/nouvelles/romans/théâtre. Tous les jeudis de 18h à 20h au CEBULAC (Burundi Palace, 1er étage), en plein centre de Bujumbura. Entrée libre et gratuite.

dimanche 10 octobre 2010

Le danger d'une histoire unique

par Roland Rugero

L'œil rivé sur le mur blanc où est projeté l'intervention de Chimamanda Ngozi Adichie, auteure de L'autre moitié du soleil (Orange Prize), on écoute l'écrivaine nigériane raconter ses souvenirs d'enfants. Dans un amphithéâtre américain, elle se rappelle comment petite, sa mère lui avait décrit le village d'un de leurs domestiques, rempli de misère et où la faim étreint les plus solides... Qu'elle ne fut sa surprise, lorsqu'elle s'y rendit un jour, découvrant que ces misérables fabriquaient de magnifiques vanneries, eux qui devraient être tenus à tenter de 'survivre'! Longtemps, elle avait vécu avec une seule histoire de cette famille.
Ainsi, ses premiers personnages dans les récits qu'écrira Chimamanda sont des héros aux yeux bleus et parlant du 'beau soleil'. Inconsciente, elle ne fait que reproduire des mondes tirés de ce qu'elle a lu jusque là, des auteurs anglais principalement. Ces univers façonnent en elle un univers romanesque uniforme: il faudra attendre Chinua Achebe ou Camara Laye pour découvrir des romans aux personnages noirs!
Étudiante aux États-Unis, Chimamanda s'entend signifier un soir, de la bouche d'un de ses camarades, « le choc devant les hommes nigérians, des violeurs comme le père du personnage d'un de tes romans!»... La nigériane, du tac au tac, lui rétorque qu'elle est encore plus choquée car elle vient de découvrir dans le film American Psycho, que « les jeunes américains sont de si grands tueurs en série». L'histoire unique de massacres ou de meurtres, renvoyée de part en part par des lectures faites dans un seul sens: les préjugés ne pourraient que fuser.

Ainsi, il apparaît urgent pour Chimamanda, de tirer ce 'pays Afrique' (comme l'appelle certains touristes) du gouffre caricatural dans lequel il a été plongé par des auteurs et journalistes de tous poils. Se nourrissant de reportages chocs et live de grandes marques médiatiques de l'Occident, il est désormais établi pour certains que l'Afrique est terre de toutes les misères, verte et désordonnée, aride et d'une sauvagerie attendrissante, sol où n'y pousse du bien que sous forme de fruits et de femmes...
Oui, tout cela existe, et même pire: mais les histoires ne s'arrêtent pas là! Il y a aussi des projets qui réussissent, des rêves qui s'accomplissent, des humains qui meurent de vieillesse.

Dans le Samandari, on a discuté de ce pouvoir des médias. Du pouvoir d'imposer une Histoire. Avec raison, l'écrivaine nigériane soulignait qu'elle connait les États-Unis parce qu'elle a lu plusieurs versions qui racontent ce pays, plusieurs histoires qui créent Une histoire faite d'échos. Ce qui manque à l'Afrique.
Puisant dans sa langue maternelle, Chimamanda renvoie ce pouvoir au mot igbo nkali, qui veut dire 'être plus grand que l'autre'. «Tout dépend du pouvoir que l'on a sur autrui. Avec ce pouvoir, vous ne racontez plus qui est quelqu'un: vous établissez définitivement qui il est», complète-elle...
Pour faire bref, il faudrait donc que le Samandari ne soit pas un lieu d'une histoire unique de révoltes, mais un espace ouvert à toutes les petites histoires, drôles, sanglantes, puantes, rieuses, noires, roses. Car qui ne sait que l'Histoire est faite d'histoires?

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