Drames,
tragédies, massacres, génocides, ou « simplement »
meurtres : les littératures africaines, en miroir à l'histoire
du continent, en parlent souvent. Un sujet qui a passionné Emmanuel
Ahimana à la tête du département de Littérature à l’Institut
Supérieur Pédagogique de Kigali (KIE) depuis février 2002, et dont
nous reproduisons les grandes lignes de la thèse1.
Emmanuel Ahimana (à droite, ici avec l'écrivaine malgache Michelle Rakotoson) travaille actuellement sur la traduction en kinyarwanda des Carnets secrets d’une fille de joie, de Patrick Ilboudo. |
La
Shoah et l’Itsembabwoko : résurgences intertextuelles ?
La
contribution arborée par « devoir de mémoire » est
avant tout un geste de compassion, de solidarité fraternelle,
« profondément
humaine, nécessaire et respectable.2»
Elle est aussi une « réaction
au long silence des Africains3 »
passifs face à un désastre singulier sur le continent. L’absence
immédiate de textes littéraires serait-elle imputable à une
paralysie qui correspondrait à la pensée d’Adorno4 ?
Bien entendu, le romancier ne peut jamais « parler
du génocide avec la froideur scientifique qu’exigerait
l’historien.5 »
Son acte d’écrire implique certes un engagement personnel mais
l’œuvre produite est le reflet de la conscience collective.
La
lecture des trois romans, ainsi que d’autres textes autant fictifs
que testimoniaux, « du dedans et du dehors », permet de
repérer quelques échos intertextuels, d’abord, entre eux,
ensuite, par rapport à la littérature de la Shoah. Les atrocités
des violences extrêmes apparaissent en toile de fond de la peinture
des figures symboliques qui sont, d’un côté, représentées
généralement par les enfants immaculés « symboles
du paradis perdu6 »
et les images des femmes martyrisées, et de l’autre, par les
représentations diaboliques des bourreaux vus sous l’image des
« monstres » dont l’accent est souvent mis sur leurs
actes barbares, comme par exemple le fait de brûler à l’essence
les vaches des voisins.
L’interprétation
de ces leitmotive et surtout la recherche du sens dans un univers
« insensé » exigent au préalable une lecture des
théories en la matière. Celles-ci permettent en effet
d’ « approcher » objectivement les différents
aspects relevés. Les manifestations intertextuelles sont parfois
enclines à une herméneutique particulière ; la méthode
dialectique semble la mieux indiquée pour apporter des
éclaircissements fructueux.
Par ailleurs, il
ne s’agit pas seulement de révéler les réminiscences
intertextuelles mais il faut aussi interpréter les processus de
basculement dans les violences extrêmes. Enfin, il faut également
retenir que les fictions et les témoignages sur le génocide
constituent généralement une écriture mémorielle et une parole
thérapeutique. Par-delà l’engagement, bien plus loin que le
témoignage, les écrivains appellent à la vigilance, pour que « le
plus jamais ça » ne devienne « l’intertexte de
tous les génocides passés » et ne continue probablement de
l’être au cours des siècles à venir.
Une littérature
voyoue ?
L’écrivain
africain se sent constamment « obligé » de pointer du
doigt la misère et la violence qui rongent son continent. Les romans
dits de « la pourritique » mettent au ban les
régimes politiques « pourris », gangrenés par la
corruption, le népotisme, la dictature, et caractérisés par le
maintien de la population dans la misère qui se métamorphose
parfois en une spirale de violence. Comme s’il n’avait plus
confiance aux humains, l’écrivain, tel par exemple Patrice Nganang
(Temps de chien : Chronique animale, Paris, Le
Serpent à Plumes, 2003), choisit « le chien »,
lui qui a toujours été rejeté et méprisé dans les sociétés
africaines, de perpétuer la parole sage et lucide, capable de
réveiller certaines consciences endormies. Celles-ci se réfugient
dans les bars de « la honte », et à l’ombre,
elles partagent également la misère sexuelle.
Sans prétendre
démontrer que les violences extrêmes dont a souffert l’Afrique
sont à l’origine d’une telle situation, la plupart des guerres
civiles ou de libération ont été menées en vue de mettre fin à
cet état de choses. Certains romanciers, sans doute dans une
perspective de témoignage et de dénonciation, jouent sur les cordes
de la cruauté et du voyeurisme pour retenir l’attention du
lecteur. Les années les plus sombres du continent africain sont
traduites dans les fictions qualifiées entre autres par Michel
Naumann de « littérature voyoue ». Les
romanciers, dépassés par les événements à représenter, s’en
prennent surtout à la langue qu’ils dénaturent et violentent
comme si elle y était pour quelque chose. Ils la nourrissent d’une
écriture scatologique, et l’omniprésence de la chair ou du « bas
matériel » leur sert d’ingrédient. La violence de
l’oppression trouve ainsi échos dans la violence de la création.
Le génocide
survenu en 1994 au Rwanda et qui a donné lieu à la publication
d’une série de fictions écrites par « devoir de mémoire »
ne s’inscrit-il pas dans la continuité de cette spirale de
violences extrêmes ? Continuité ou rupture (?) toujours est-il
que l’année 2000 aura signé une nouvelle page de la littérature
négro-africaine avec essentiellement la sortie des textes de fiction
sur le génocide des Tutsi au Rwanda. Parmi eux, trois romans,
Murambi le livre des ossements de Boubacar Boris Diop, La
Phalène des collines de Koulsy Lamko et L’Aîné des
orphelins de Tierno Monénembo, sont singulièrement
intéressants, non seulement parce qu’ils traitent d’un même
référent (une violence extrême indescriptible) dans une langue
variée et recourant aux emprunts parfois un peu forgés/forcés du
kinyarwanda, mais aussi du fait de la fonction référentielle avec
d’importantes allusions intertextuelles à la littérature de la
Shoah ou encore en ce qui concerne la notion d’engagement et de
témoignage.
En
fin de compte, les fictions littéraires africaines, tout en décriant
toutes les formes de violences extrêmes, ont favorisé, de manière
générale, une écriture où « demain
serait toujours l’évolution positive d’hier7 »,
pour reprendre la pensée de la philosophe Isabelle Favre. Cette
formule récapitule tous les « mots
de la fin8 »
des romans de notre corpus. Diop et Lamko croient en la vie qui sera
perpétrée par les enfants de Zakya (et Cornelius) ou celui de
Pelouse et Muyango. Pour Monénembo, même après le passage du
diable, il y a toujours de la vie qui reste. Ce happy-end
débouche,
selon les théories d’Hannah Arendt, sur un commencement, une
affirmation de vie, de liberté et d’espoir.
1 Le
doctorat en Etudes Française, Francophones et Comparée a été
obtenu à l’Université Michel de Montaigne, Bordeaux 3(France)
2 Africultures,
n° 30, Rwanda 2000 : Mémoires d’avenir, septembre
2000, Paris, L’Harmattan, p. 4.
3 Ibidem., p.
5.
4 Allusion à la
célèbre formule d’Adorno : « Après Auschwitz, c’est
un acte barbare que d’écrire un poème. »
5 Africultures,
n° 30, Op. cit., p. 5.
6 Nous empruntons
l’expression à Isabelle Favre, « Hannah Arendt, Boris Diop
et le Rwanda : correspondances et commencements »,
Présence Francophone, n° 66, p. 119.
7 FAVRE, I., Op.
cit., p. 118.
8 LARROUX, G., Le
Mot de la fin. La clôture romanesque en question, Paris,
Nathan, 1995.
Braves lecteurs ! vous ne tombez pas dans le panneau, vous jetant à commenter. Uvuga menshi ugahanwa !
RépondreSupprimerIvyo bintu ni Abanyasamandari babizanye. Ni bo bavyitumye. None ni babikomante.