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lundi 4 mars 2013

Violences dans le roman négro-africain francophone : cas du Rwanda


Drames, tragédies, massacres, génocides, ou « simplement » meurtres : les littératures africaines, en miroir à l'histoire du continent, en parlent souvent. Un sujet qui a passionné Emmanuel Ahimana à la tête du département de Littérature à l’Institut Supérieur Pédagogique de Kigali (KIE) depuis février 2002, et dont nous reproduisons les grandes lignes de la thèse1.


Emmanuel Ahimana (à droite, ici avec l'écrivaine
malgache Michelle Rakotoson) travaille actuellement
sur la traduction en kinyarwanda des
Carnets secrets d’une fille de joie, de Patrick Ilboudo.
La Shoah et l’Itsembabwoko : résurgences intertextuelles ?

La contribution arborée par « devoir de mémoire » est avant tout un geste de compassion, de solidarité fraternelle, « profondément humaine, nécessaire et respectable.2» Elle est aussi une « réaction au long silence des Africains3 » passifs face à un désastre singulier sur le continent. L’absence immédiate de textes littéraires serait-elle imputable à une paralysie qui correspondrait à la pensée d’Adorno4 ? Bien entendu, le romancier ne peut jamais « parler du génocide avec la froideur scientifique qu’exigerait l’historien.5 » Son acte d’écrire implique certes un engagement personnel mais l’œuvre produite est le reflet de la conscience collective.

La lecture des trois romans, ainsi que d’autres textes autant fictifs que testimoniaux, « du dedans et du dehors », permet de repérer quelques échos intertextuels, d’abord, entre eux, ensuite, par rapport à la littérature de la Shoah. Les atrocités des violences extrêmes apparaissent en toile de fond de la peinture des figures symboliques qui sont, d’un côté, représentées généralement par les enfants immaculés « symboles du paradis perdu6 » et les images des femmes martyrisées, et de l’autre, par les représentations diaboliques des bourreaux vus sous l’image des « monstres » dont l’accent est souvent mis sur leurs actes barbares, comme par exemple le fait de brûler à l’essence les vaches des voisins.

L’interprétation de ces leitmotive et surtout la recherche du sens dans un univers « insensé » exigent au préalable une lecture des théories en la matière. Celles-ci permettent en effet d’ « approcher » objectivement les différents aspects relevés. Les manifestations intertextuelles sont parfois enclines à une herméneutique particulière ; la méthode dialectique semble la mieux indiquée pour apporter des éclaircissements fructueux.

Par ailleurs, il ne s’agit pas seulement de révéler les réminiscences intertextuelles mais il faut aussi interpréter les processus de basculement dans les violences extrêmes. Enfin, il faut également retenir que les fictions et les témoignages sur le génocide constituent généralement une écriture mémorielle et une parole thérapeutique. Par-delà l’engagement, bien plus loin que le témoignage, les écrivains appellent à la vigilance, pour que « le plus jamais ça » ne devienne « l’intertexte de tous les génocides passés » et ne continue probablement de l’être au cours des siècles à venir.

Une littérature voyoue ?

L’écrivain africain se sent constamment « obligé » de pointer du doigt la misère et la violence qui rongent son continent. Les romans dits de « la pourritique » mettent au ban les régimes politiques « pourris », gangrenés par la corruption, le népotisme, la dictature, et caractérisés par le maintien de la population dans la misère qui se métamorphose parfois en une spirale de violence. Comme s’il n’avait plus confiance aux humains, l’écrivain, tel par exemple Patrice Nganang (Temps de chien : Chronique animale, Paris, Le Serpent à Plumes, 2003), choisit « le chien », lui qui a toujours été rejeté et méprisé dans les sociétés africaines, de perpétuer la parole sage et lucide, capable de réveiller certaines consciences endormies. Celles-ci se réfugient dans les bars de « la honte », et à l’ombre, elles partagent également la misère sexuelle.

Sans prétendre démontrer que les violences extrêmes dont a souffert l’Afrique sont à l’origine d’une telle situation, la plupart des guerres civiles ou de libération ont été menées en vue de mettre fin à cet état de choses. Certains romanciers, sans doute dans une perspective de témoignage et de dénonciation, jouent sur les cordes de la cruauté et du voyeurisme pour retenir l’attention du lecteur. Les années les plus sombres du continent africain sont traduites dans les fictions qualifiées entre autres par Michel Naumann de « littérature voyoue ». Les romanciers, dépassés par les événements à représenter, s’en prennent surtout à la langue qu’ils dénaturent et violentent comme si elle y était pour quelque chose. Ils la nourrissent d’une écriture scatologique, et l’omniprésence de la chair ou du « bas matériel » leur sert d’ingrédient. La violence de l’oppression trouve ainsi échos dans la violence de la création.


Le génocide survenu en 1994 au Rwanda et qui a donné lieu à la publication d’une série de fictions écrites par « devoir de mémoire » ne s’inscrit-il pas dans la continuité de cette spirale de violences extrêmes ? Continuité ou rupture (?) toujours est-il que l’année 2000 aura signé une nouvelle page de la littérature négro-africaine avec essentiellement la sortie des textes de fiction sur le génocide des Tutsi au Rwanda. Parmi eux, trois romans, Murambi le livre des ossements de Boubacar Boris Diop, La Phalène des collines de Koulsy Lamko et L’Aîné des orphelins de Tierno Monénembo, sont singulièrement intéressants, non seulement parce qu’ils traitent d’un même référent (une violence extrême indescriptible) dans une langue variée et recourant aux emprunts parfois un peu forgés/forcés du kinyarwanda, mais aussi du fait de la fonction référentielle avec d’importantes allusions intertextuelles à la littérature de la Shoah ou encore en ce qui concerne la notion d’engagement et de témoignage.

En fin de compte, les fictions littéraires africaines, tout en décriant toutes les formes de violences extrêmes, ont favorisé, de manière générale, une écriture où « demain serait toujours l’évolution positive d’hier7 », pour reprendre la pensée de la philosophe Isabelle Favre. Cette formule récapitule tous les « mots de la fin8 » des romans de notre corpus. Diop et Lamko croient en la vie qui sera perpétrée par les enfants de Zakya (et Cornelius) ou celui de Pelouse et Muyango. Pour Monénembo, même après le passage du diable, il y a toujours de la vie qui reste. Ce happy-end débouche, selon les théories d’Hannah Arendt, sur un commencement, une affirmation de vie, de liberté et d’espoir.


1 Le doctorat en Etudes Française, Francophones et Comparée a été obtenu à l’Université Michel de Montaigne, Bordeaux 3(France)
2  Africultures, n° 30, Rwanda 2000 : Mémoires d’avenir, septembre 2000, Paris, L’Harmattan, p. 4.
3 Ibidem., p. 5.
4 Allusion à la célèbre formule d’Adorno : « Après Auschwitz, c’est un acte barbare que d’écrire un poème. »
5 Africultures, n° 30, Op. cit., p. 5.
6 Nous empruntons l’expression à Isabelle Favre, « Hannah Arendt, Boris Diop et le Rwanda : correspondances et commencements », Présence Francophone, n° 66, p. 119.
7 FAVRE, I., Op. cit., p. 118.
8 LARROUX, G., Le Mot de la fin. La clôture romanesque en question, Paris, Nathan, 1995.   

1 commentaire:

  1. Braves lecteurs ! vous ne tombez pas dans le panneau, vous jetant à commenter. Uvuga menshi ugahanwa !
    Ivyo bintu ni Abanyasamandari babizanye. Ni bo bavyitumye. None ni babikomante.

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