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dimanche 19 mai 2013

Kebir Ammi : « Dans l'écrivain, il y a l'obsession du langage »

Professeur d’anglais en France, Kebir Ammi (ici au Centre d'Information
de l'Ambassade des États-Unis au Burundi) est également co-fondateur
du Magazine Littéraire du Maroc. Il a publié, notamment aux éditions
Gallimard, 
Le ciel sans détoursLes vertus immorales et Mardochée …

En résidence d'auteur à l'Institut Français du Burundi pour une semaine, l'écrivain marocain évoque ses rencontres dans les ateliers d'écriture, le pays, l'Afrique.
Quatre jours passés à travailler avec une vingtaine d'auteurs confirmés ou pas sur l'autobiographie … Pourquoi cette thématique ?
Il y a d'abord une rencontre passionnante : le premier récit autobiographique connu, Les Confessions, de Saint-Augustin. C'est au 4ème Siècle après Jésus-Christ, l'Algérie s'appelle encore Numidie, et le philosophe parle, à Rome, de « retourner chez moi en Afrique ». Malheureusement, les universités et les intellectuels africains ont oublié cet écrivain-là, des leurs, pour ne garder que l'homme d'Église. C'est mon point de départ vers l'autobiographie. J'ai justement lu des extraits de celle de Saint-Augustin aux participants à les ateliers, et ils n'en revenaient pas !
Pourquoi ?
L'intuition du philosophe, qui raconte, à son époque déjà, ce qui fait la richesse d'un récit autobiographique : la sincérité, le détail. Lire le plus grand penseur du Moyen Âge, l'un des quatre Pères de l'Église latine, qui raconte avoir fait l'école buissonnière, comment il préférait les mathématiques au grec, la relation difficile entre son père et sa mère, … c'est saisissant. Voilà ma soif à partager !
Et vous sentez de l'intérêt chez ceux qui découvrent avec vous cette expression littéraire ?
Oui. Beaucoup ! L'autobiographie met en place des mécanismes intérieurs extraordinaires. Pour nous, de cultures musulmanes où le récit à la première personne du singulier n'existe pas, c'est l'occasion d'affirmer sa vision, de raconter le monde en retrait du groupe, du « nous ». et je crois que ce travail est important pour le Burundi, avec ses obstacles, une histoire difficile. C'est aussi un cheminement dur, l'écriture. J'ai expliqué qu'on ne devient pas écrivain au bout d'un atelier d'écriture. Certains n'ont pas voulu le comprendre, malheureusement …
C'est à dire ?
Un récit, ce n'est pas 10, 20 lignes, 100 : c'est une langue, le rapport de l'auteur à la langue. Dans ce qu'il écrit, on y retrouve sa mère, ses joies, son enfances, ses souffrances, … Dans la littérature, qui est avant tout un « jeu », l'écrivain déploie un langage qui s'exprime à travers son rapport au monde. Il y a chez lui l'obsession du langage, puisé dans divers lieux. Quand vous lisez García Márquez, Vargas Llosa, Carlos Fuentes ou Alejo Carpentier, il y a quelque chose de plus qu'un récit. Certains auteurs vous permettent de voyager deux, trois heures. D'autres toute une vie.
Il y a un sujet qui vous tient à cœur : la rencontre des mondes littéraires entre l'Afrique du Nord et la Subsaharienne …
Oui. En 2009, les Algériens organisaient le Festival Panafricain, en invitant notamment les écrivains du continent, et mêmes ceux ayant des racines africaines comme ceux des Antilles, à Alger. C'était une idée très intéressante, même si je regrette qu'il n'y ait pas eu des voix venant du monde anglophone, et que l'ouvrage commun publié à l'occasion, Encrages Africains, n'ait pas connu de suite … Mais depuis, des initiatives individuelles ont suivi : si je suis au Burundi, c'est grâce à Eugène Ébodé, du Cameroun, qui lui-même était au Salon du livre de Casablanca avec d'autres écrivains comme l'Ivoirienne Tanella Boni, le Congolais Henri Lopes, etc. Ces échanges, ces voyages sont très importants.
Justement, que ressentez-vous à propos de la littérature africaine d'expression anglophone ?
Elle me semble avoir trouvé un territoire de fiction, un peu plus que chez nous autres d'expression francophone … Et que cela soit pour nos provenances (sur le continent, dans nos pays, nos communautés) ou pour nos langues, l'essentiel est de garder à l'esprit que l'écrivain n'est le porte-parole de quoi que ce soit d'autre que ses blessures, de lui-même. Pas d'une nation, ou même d'un continent. Et puis, comme je l'expliquais à l'Université du Burundi où l'on me parlait tant et tant de l'Europe, je peux me sentir proche d'un écrivain burundais ou chinois que d'un récit marocain. La littérature invite à l'ouverture, au voyage. Elle n'enferme pas dans des références.
Une impression du Burundi ?
J'ai été ébloui par la richesse et la beauté de la nature du pays, sur la route menant à l'Alliance de Gitega, où j'ai reçu un accueil très chaleureux, des élèves courtois, préparés, des professeurs engagés. En revenant à la nature, c'est dommage qu'on la laisse inconnue. C'est presqu'un crime. Si j'étais burundais, j'écrirais un roman là-dessus, et ce serait peut-être l’œuvre la plus engagée du pays car je célébrerai mes racines, le chez-moi.
Propos recueillis par Roland Rugero

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