En
résidence d'auteur à l'Institut Français du Burundi pour une
semaine, l'écrivain marocain évoque ses rencontres dans les
ateliers d'écriture, le pays, l'Afrique.
Quatre
jours passés à travailler avec une vingtaine d'auteurs confirmés
ou pas sur l'autobiographie … Pourquoi cette thématique ?
Il
y a d'abord une rencontre passionnante : le premier récit
autobiographique connu, Les
Confessions, de
Saint-Augustin. C'est au 4ème Siècle après Jésus-Christ,
l'Algérie s'appelle encore Numidie, et le philosophe parle, à Rome,
de « retourner chez moi en Afrique ». Malheureusement,
les universités et les intellectuels africains ont oublié cet
écrivain-là, des leurs, pour ne garder que l'homme d'Église. C'est
mon point de départ vers l'autobiographie. J'ai justement lu des
extraits de celle de Saint-Augustin aux participants à les ateliers,
et ils n'en revenaient pas !
Pourquoi ?
L'intuition
du philosophe, qui raconte, à son époque déjà, ce qui fait la
richesse d'un récit autobiographique : la sincérité, le
détail. Lire le plus grand penseur du Moyen Âge, l'un des quatre
Pères de l'Église latine, qui raconte avoir fait l'école
buissonnière, comment il préférait les mathématiques au grec, la
relation difficile entre son père et sa mère, … c'est saisissant.
Voilà ma soif à partager !
Et
vous sentez de l'intérêt chez ceux qui découvrent avec vous cette
expression littéraire ?
Oui.
Beaucoup ! L'autobiographie met en place des mécanismes
intérieurs extraordinaires. Pour nous, de cultures musulmanes où le
récit à la première personne du singulier n'existe pas, c'est
l'occasion d'affirmer sa vision, de raconter le monde en retrait du
groupe, du « nous ». et je crois que ce travail est
important pour le Burundi, avec ses obstacles, une histoire
difficile. C'est aussi un cheminement dur, l'écriture. J'ai expliqué
qu'on ne devient pas écrivain au bout d'un atelier d'écriture.
Certains n'ont pas voulu le comprendre, malheureusement …
C'est
à dire ?
Un
récit, ce n'est pas 10, 20 lignes, 100 : c'est une langue, le
rapport de l'auteur à la langue. Dans ce qu'il écrit, on y retrouve
sa mère, ses joies, son enfances, ses souffrances, … Dans la
littérature, qui est avant tout un « jeu », l'écrivain
déploie un langage qui s'exprime à travers son rapport au monde. Il
y a chez lui l'obsession du langage, puisé dans divers lieux. Quand
vous lisez García
Márquez,
Vargas Llosa, Carlos Fuentes ou Alejo Carpentier, il y a quelque
chose de plus qu'un récit. Certains auteurs vous permettent de
voyager deux, trois heures. D'autres toute une vie.
Il
y a un sujet qui vous tient à cœur : la rencontre des mondes
littéraires entre l'Afrique du Nord et la Subsaharienne …
Oui.
En 2009, les Algériens organisaient le Festival Panafricain, en
invitant notamment les écrivains du continent, et mêmes ceux ayant
des racines africaines comme ceux des Antilles, à Alger. C'était
une idée très intéressante, même si je regrette qu'il n'y ait pas
eu des voix venant du monde anglophone, et que l'ouvrage commun
publié à l'occasion, Encrages
Africains, n'ait
pas connu de suite … Mais depuis, des initiatives individuelles ont
suivi : si je suis au Burundi, c'est grâce à Eugène Ébodé,
du Cameroun, qui lui-même était au Salon du livre de Casablanca
avec d'autres écrivains comme l'Ivoirienne Tanella Boni, le
Congolais Henri Lopes, etc. Ces échanges, ces voyages sont très
importants.
Justement,
que ressentez-vous à propos de la littérature africaine
d'expression anglophone ?
Elle
me semble avoir trouvé un territoire de fiction, un peu plus que
chez nous autres d'expression francophone … Et que cela soit pour
nos provenances (sur le continent, dans nos pays, nos communautés)
ou pour nos langues, l'essentiel est de garder à l'esprit que
l'écrivain n'est le porte-parole de quoi que ce soit d'autre que ses
blessures, de lui-même. Pas d'une nation, ou même d'un continent.
Et puis, comme je l'expliquais à l'Université du Burundi où l'on
me parlait tant et tant de l'Europe, je peux me sentir proche d'un
écrivain burundais ou chinois que d'un récit marocain. La
littérature invite à l'ouverture, au voyage. Elle n'enferme pas
dans des références.
Une
impression du Burundi ?
J'ai
été ébloui par la richesse et la beauté de la nature du pays, sur
la route menant à l'Alliance de Gitega, où j'ai reçu un accueil
très chaleureux, des élèves courtois, préparés, des professeurs
engagés. En revenant à la nature, c'est dommage qu'on la laisse
inconnue. C'est presqu'un crime. Si j'étais burundais, j'écrirais
un roman là-dessus, et ce serait peut-être l’œuvre la plus
engagée du pays car je célébrerai mes racines, le chez-moi.
Propos
recueillis par Roland Rugero
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