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Café Littéraire. Espace ou naissent et se croisent toutes formes d'écrits: slams/poésie/contes/nouvelles/romans/théâtre. Tous les jeudis de 18h à 20h au CEBULAC (Burundi Palace, 1er étage), en plein centre de Bujumbura. Entrée libre et gratuite.

vendredi 3 septembre 2010

ARC-EN-CIEL, de Marc Meurrens

L'homme était grand et il avait la peau orange, comme beaucoup de ceux de sa région : la plaine, dont les reflets sont, selon l'heure, tantôt jaune, tantôt ocre, tantôt rouille.

La femme habitait la maison d'en haut, au sommet de la colline. Elle était belle et elle était bleue, peut-être parce qu'elle vivait plus près du ciel et que celui-ci lui avait offert sa couleur.

De la maison d'en haut, on apercevait très loin à l'ouest les montagnes où le soleil rougeoyait et d'où venaient les hommes rouges. Là bas, au nord, les cimes enneigées d'où venaient les hommes blancs. Plus près, les marais peuplés d'hommes plutôt verts. Il y avait aussi la région des mines et ses hommes noirs. Et les forêts où beaucoup avaient la couleur des myrtilles. Et bien d'autres lieux, et bien d'autres êtres.

L'homme orange aimer venir à la maison d'en haut, traversant la petite ville où toutes ces couleurs se rencontraient, se croisaient, se métissaient.
En chemin, il souriait à cette jeune femme joyeuse qui était toute rouge, à ce vieil homme très digne avec son corps jaune surmonté d'une belle tête verte; il s'arrêtait au marché où un enfant métis lui vendait une fleur ou un fruit et, puis, lui disait : « soyez heureux ».

L'homme orange venait souvent à la maison d'en haut y dire son amour à la femme bleue, parfois par une fleur, parfois par un fruit.
Il racontait l'enfant métis, multicolore, la face blanche, la tignasse noire, la main droite qui était rouge, la main gauche qui était bleue, les oreilles vertes pour écouter les cigales, et le sourire qui était un arc-en-ciel.

La femme bleue chantait jusqu'aux étoiles, parfois dans une langue, parfois dans une autre.
Elle chantait la vie et la mort, elle chantait la douleur et l'espoir, elle chantait l'amour.

A minuit, l'homme quittait la maison d'en haut, ayant promis, un peu contraint, à la belle, que leurs lèvres ne se toucheraient pas.
Elle lui disait « que Dieu te bénisse ».
Il lui répondait « que soit beau le chemin que tu traceras ».

= = =

Une nuit pourtant, peut-être parce que le petit arc-en-ciel avait si bien dit « soyez heureux », peut-être parce que les étoiles avaient si bien scintillé aux chants de l'amour, sans trop savoir pourquoi (et pourquoi savoir ?), elle dit « que Dieu nous bénisse » et il dit « que soit beau le chemin que nous tracerons ».

Ils reconnurent la passion qui les unissait; ils se firent l'amour et leurs corps, qui étaient bleu et orange, ne formèrent plus qu'un seul corps, un corps aux couleurs de l'arc-en-ciel.
Mais, quand il voulut déposer sur les lèvres de son amoureuse le baiser qu'il y cueillerait aussitôt, elle se déroba et lui rappela le contrat qu'il avait signé.

La belle l'invita à la patience et à la passion : « nous nous ferons mille et une fois l'amour, et, la mille et unième fois, nos lèvres se trouveront ».

Mille fois, le soleil, complice des amants, s'en fut se cacher au delà des montagnes et des océans.

Mille fois, la femme bleue descendit de la maison haute vers le marché demander à l'enfant arc-en-ciel la fleur ou le fruit qui accueillerait celui qu'elle attendait.
Mille fois, l'homme orange s'arrêtait au marché et demandait à l'enfant le fruit ou la fleur qu'il n'avait pas déjà vendu.
Mille fois, l'arc-en-ciel leur disait « soyez heureux ».

Alors, ils prirent au mot le petit vendeur, et ils furent heureux.
Ils construisaient la vie, avec des mots de toutes les couleurs, avec des chants de tous les espaces, avec des signes de tous les temps.
Ses doigts bleus si tendres glissaient sur le grain de la peau orange.
Ses mains oranges si fermes naviguaient doucement dans l'infini des collines et des vallons bleutés.
Chaque jour, ils se connaissaient.
Chaque lendemain, tout était à redécouvrir.

Souvent, ils se rencontraient au marché, chacun venant chercher auprès de l'enfant multicolore, qui la fleur, qui le fruit.
Alors, ils remontaient ensemble vers la maison haute, parfois la main dans la main, parfois tenant entre eux le petit arc-en-ciel qui leur avait dit, avec un regard déjà complice « soyez heureux »

Leur bonheur commençait en chemin, par l'humanité qui était leur, par les regards de toutes les lumières, par les sourires de tous les nuances.

= = =

Quand vint l'instant où le soleil allait se cacher pour la mille et unième fois, l'homme orange gravit plus vite le chemin qui menait à la maison haute.
S'arrêtant au marché, il vit que l'enfant avait toujours, et la fleur et le fruit.

Il n'y prêta guère attention : la femme bleue n'avait sans doute pas eu l'occasion, ce jour là, de descendre au marché.
Que lui importait, puisque ses oreilles s'émerveillaient déjà du chant de l'aimée.

Quand il tendit sa main à l'enfant, l'arc-en ciel n'était plus là.
Plus personne n'était là.
Tous avaient fui, hommes, femmes, rouges, verts, blancs.
Tous s'étaient cachés.
Tous tremblaient, enfants, jaunes, noirs, mauves.

Il n'avait entendu ni les rafales des tueurs, ni les hurlements des guerriers car les cris joyeux de l'amour remplissait déjà entièrement sa tête.

Dans la maison d'en haut, elle achevait de mourir, la femme bleue qui aimait un homme orange.

Un mince filet rouge coulait de ses lèvres définitivement vierges du baiser promis.

Elle avait eu le temps d'une larme pour la caresse restée inconnue.
Elle avait eu le temps d'un sourire pour les mille nuits d'amour.
Elle avait eu le temps d'un tremblement pour l'enfant multicolore,
l'enfant perdu qui aurait pu être leur enfant.

Il marcha vers la maison d'en haut.
Sur son chemin, ils étaient là.
Ni verts, ni blancs, ni rouges, ni bleus, car un masque couvrait leurs visages.
Ils portaient la couleur de la haine, les bottes de la terreur, les armes de l'absurde.

Un mince filet rouge coula des lèvres de l'homme orange qui aimait une femme bleue.

Il eu le temps d'un sourire pour les mille nuits d'amour.
Il eu le temps d'un sourire pour l'enfant multicolore,
pour l'enfant qui avait, à temps, pu fuir la folie,
pour l'enfant qui vivrait sans doute,
peut-être,
pour l'arc-en-ciel, leur enfant.

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