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samedi 11 septembre 2010

Non à la mediocrité!

par Ketty Nivyabandi

Voici que ce vent familier souffle une fois de plus sur notre pays...
Un vent qui remue tout sur son passage, qui éveille et agite, et qui sort toute notre classe politique de sa torpeur. Car la prouesse des hommes et femmes politiques n’est jamais aussi évidente que pendant les périodes électorales.
Quelle fougue ! Débats passionnés bien que modérément argumentés, descentes musclées sur le ‘terrain’ (terrain étant le domicile permanent de 90% de leur population), intérêts soudains pour les droits de la personne humaine, pour la justice, les femmes… On aurait presque l’impression que les politiciens travaillent plus pendant la période électorale que pendant leurs mandats entiers…
Et voila que le mandat devient vite une récompense à la mesure de ce zèle, une couronne de lauriers sur laquelle beaucoup finissent par s’endormir profondément (il suffit de s’en tenir aux reportages de sessions au parlement)…
Vite, on s’assoupit dans ses nouvelles fonctions, et on en profite autant que possible comme une ribambelle d’enfants démunis dans une confiserie. On s’en gave, essayant de remplir tout ce que l’on peut dans sa poche. Pour beaucoup ce sont les fonds et marchés publics, pour d’autres plus subtils c’est l’obtention d’un commerce, un pouvoir d’influence, bref une longévité…

Mais si rare est cet homme ou femme politique dont le premier engagement professionnel est d’honorer son mandat : améliorer le bien-être de ses concitoyens. Rarissime est ce sens de devoir et du service, ne fut-il que minimum.
Si rare en définitive que nous, citoyens ordinaires, semblons aussi oublier les termes de référence des ces politiciens sitôt la bible sur laquelle ils auront prêté sermon rangée au placard. Et ce faisant nous cautionnons un système de médiocrité qui nous étrangle chaque jour un peu plus, qui nous ôte même notre fierté de nous appeler burundais.
J’exclue et salue de ce ‘nous’ les quelques (et une fois de plus si, si rares) hommes et femmes d’honneur qui se lèvent chaque matin pour dire non à cette médiocrité. Et qui en meurent aussi…
Mais qu’en est-il de la vaste majorité d’entre nous ?
Comment en sommes-nous arrivés à considérer l’absurde comme normal ? Est-il normal par exemple que des bébés meurent encore à Bujumbura, capitale d’un état indépendant, par manque de couveuses? Et ceci alors que nos parlementaires s’octroient des primes qu’on ne peut répéter, par pudeur et par honte ? …. Est-il normal que nos hôpitaux publics soient devenus des mouroirs (pour citer un célèbre journaliste burundais) ? Est-ce normal qu’une organisation contre la corruption ait eu à étudier plus de mille cas de malversations économiques ?
Pire, est il normal que plus grand monde ne se demande pourquoi ?...

Il semble exister et se répandre dans notre culture et nos coutumes, un certain fatalisme, une sorte de résignation face à notre quotidien aussi pénible soit-il.
Serait-ce le fruit d’une révérence culturellement africaine et particulièrement burundaise envers l’autorité publique, le chef, et toute institution qui l’entoure? Serait-ce l’indice d’un certain égoïsme en nous, car revendiquer le changement, surtout dans la gestion de la chose publique, implique souvent de larges sacrifices personnels.
Il faut oser défier le statut quo, au risque d’être marginalisé. Et dans notre société burundaise, gérée par une myriade de codes sociaux aussi tacites que complexes, où le respect s’acquiert dans le conformisme et non l’originalité, la marginalisation devient une lourde croix.

Certes, de grands progrès doivent être soulignés, surtout dans deux sphères particulières : les droits de la personne humaine et les biens publics. Aujourd’hui ceux qui portent atteinte à ces domaines sont vivement et publiquement dénoncés. C’est un grand pas que nous devons à l’émergence et au courage d’une société civile active et alerte.
Malheureusement ceci se limite souvent à quelques individus (ou organisations) ainsi qu’à des domaines précis. L’Etat au service des citoyens n’est pas encore devenu une culture, il n’est pas considéré comme un droit.
Et pourtant, petit rappel d’une urgence stridente : l’état de notre Etat n’a rien de normal.

Notre nation comprend d’éminents médecins, économistes, juristes, technocrates…
Pourquoi alors subissons-nous, sans dire un mot, de services de santé, d’une économie, d’un système judiciaire, et de performances médiocres ?
Et où sont nos intellectuels ? Où sont leurs écrits, leurs réflexions, ferments dont nous avons plus que jamais besoin ? Où sont nos artistes, pouls et miroir d’une nation ?…

Que retiendra l’histoire de notre génération ?
Nos parents ont le mérite d’avoir lutté pour notre indépendance. Quel sera notre héritage ? Serons-nous ceux qui aurons osé dire haut et fort : non à la médiocrité, sous toutes ses formes? Saurons-nous être les artisans d’une culture d’excellence ? De la performance ? D’un état de droit ? De nos droits les plus fondamentaux en tant que fils et filles de ce pays vieux d’au moins quatre cent ans ?
Droit à la paix, à une économie qui valorise ses producteurs et entreprises, à des infrastructures solides, à des services performants, à une justice impartiale, à des hôpitaux ou l’on guérit plus qu’on ne meurt, à des écoles qui dispensent un enseignement de qualité et non de quantité, à un système qui protège et respecte ses enseignants, ses femmes, ses enfants, ses personnes âgées, ses handicapés et tous ses couches sociales? Au développement et à l’essor économique, à une révérence pour notre culture et nos formes d’expression, à des medias libres?

Saurons-nous être un peuple qui marche vers l’avant ?...
Ou serons nous ces voyageurs invisibles, qui passent sans laisser aucune trace, ces coureurs qui le moment venu de passer le relais se rendent compte que leurs mains étaient vides tout le long de leur course. Et qui essuient de leur front la sueur amère d’avoir couru pour rien…

Il nous appartient, à nous tous citoyens, de prendre conscience des réalités qui nous entourent et de nous poser la question de savoir : est ceci le Burundi que nous voulons ? Sommes-nous sur le bon chemin ? Car un état ne se construit pas seul. Il part d’un rêve, d’une vision puissante et vivante, instruite du fait que si mon voisin souffre, mon bien-être est aussi menacé.

Notre jeunesse a besoin d’être inspirée, nos citoyens respectés, nos institutions reformées. Oui. Sans la moindre équivoque. Mais la médiocrité c’est d’abord en nous même qu’elle doit être vaincue. Si nous la tolérons dans nos choix personnels, dans nos proches et autour de nous, elle ne peut que croître et s’installer dans toute la nation du plus bas au sommet. Et cette nation devient une médiocratie. Nul besoin alors d’émettre innombrables critiques envers ceux qui nous gouvernent et nous ont gouverné depuis cinquante ans. Car ne dit on pas que l’on a les dirigeants qu’ont mérite ?...

Voici ce que je crois : je crois qu’une culture d’excellence est possible, que ceci est un choix, autant personnel que national. Je crois que le jour où nous exigerons mieux, de nous même et de nos dirigeants, il y aura mieux.
Et je crois aussi, comme un autre burundais, en cette parole robuste de sagesse : ‘‘Quelle que soit la longueur de la nuit, le soleil finit toujours par se lever’’.

La balle est dans le creux de nos mains.

1 commentaire:

  1. Un grand anthropologue français spécialiste de l'Afrique, George Balandier, a dit ceci à de jeunes étudiants qui lui demandaient comment envisager l'avenir : "Ne désarmez pas ! Ne désarmez pas !"
    La leçon de ce vieil homme de 80 ans ne convient-elle pas à toutes les jeunesses ?

    Merci pour cette plaidoirie d'exigence, et d'espoir.

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